L'offrande

Publié le par la freniere

Le Monde est un grand livre d'images illustrant un texte déjà rédigé. Le voyageur troque son role de lecteur pour celui d'acteur. Le voyageur se déplace dans la marge du texte; il y annote des commentaires, dessine des signes, invente sa propre géographie. Il écrit dans la marge étroite du silence, il crée un espace de liberté avec un regard émerveillé. Le voyageur est un poète qui laisse des traces de rêve sur son passage. Le récit contient plus de silence que de mots; c'est dans ce silence du récit que se réfugie l'essentiel, la part de vérité qui échappe au langage mais qui s'y révèle aussi parfois, fragile et fugitive. Voyager c'est d'abord regarder, parfois voir. Plus je voyage, plus je suis séduit par la poésie du regard, plus je suis envahi par le silence. On ne brise pas le silence, ce serait briser le mirroir de l'âme. On le rompt plutôt, comme le pain, par désir de partage.

 

J'ai tellement de mal à commencer ce carnet. J'ai de plus en plus de difficulté à écrire; l'écriture me crispe d'angoisse, me confronte à l'échec. Je me suis assis devant l'ordinateur souvent ces derniers jours, ici à Jakarta, sans résultat satisfaisant. J'éprouve du vertige, un vide intérieur bouleversant. Je suis confronté aux limites. Le plan du récit est pourtant clair dans ma tête, je m'en récite intérieurement des paragraphes entiers quand je vais marcher. J'ai l'impression de tourner en rond, de revivre les mêmes événements du voyage alors que j'aspire à autre chose, aller au-delà des limites et contraintes de l'anecdote: je ressens la même frustration que celle qu'a ressentie Jimi Hendrix par exemple quand il a atteint les limites d'expression de sa guitare et n'a eu d'autre choix que d'y mettre le feu.J'ai parfois aussi envie de mettre le feu aux mots, de les réduire en cendres; les mots sont devenus suspects, ils sont devenus cadavres qu'il faut brûler de la même manière qu'on le fait dans les cérémonies hindoues. J'oscille entre l'extase de la pensée, la création poétique de l'imaginaire et la dépression du réel, la misère de l'existence humaine. Il faut inventer la vie.

 

(…)

 

Gilles Chalifoux

 

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Publié dans Poésie du monde

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