Le prix Nobel de l'épais

Publié le par la freniere

Oh là là! Quelle belle unanimité! Et j’aurais certainement tendance à joindre ma voix à la vôtre! Mais bien que celui auquel nous pensons tous a en effet de très fortes chances de remporter la palme « pour l’ensemble de son œuvre », n’oublions pas que la connerie fait bien souvent des petits, qu’il y a d’autres candidats en lice et de nouveaux arrivants qui se pointent. Il convient d’autre part de bien s’entendre sur cette notion « d’épaissitude ». Essayons donc de clarifier les termes afin d’y voir un peu plus clair.

Premier constat : l’épais a toujours existé. Il se définit généralement comme un être plus ou moins infect qui n’a pas de culture, pas de manières et qui a tout du sans-gêne. Il est aussi souvent narcissique et dangereusement imbu de sa propre personne. Historiquement, bien qu’il y ait eu de tout temps des exceptions, l’épais se cantonne généralement dans l’univers du privé. Il faut aussi établir des nuances entre le con, le cave, le niaiseux, l’imbécile et l’épais bien que tous ces qualificatifs puissent à l’occasion s’amalgamer et définir une seule et même personne. On rencontre assez souvent l’épais dans les bars. C’est le genre à parler fort, à déconner sur n’importe quoi, à avoir des opinions erronées non fondées sur à peu près tout, à troller de la manière la plus grotesque une barmaid qui n’en a rien à foutre mais qui, professionnalisme oblige, doit tout de même continuer à sourire et à lui servir de la bière. On le voit aussi souvent au volant d’une voiture, refuser le passage à un piéton ou klaxonner en maugréant contre un cycliste. Il est généralement de droite, mangeur de Macdo, sexiste, climatosceptique, il serait du genre à pester contre les Autochtones, les Noirs, les musulmans, les immigrants, les homosexuels, et ce, même s’il vit dans un ghetto entouré de mâles blancs et qu’il n’a jamais personnellement été mis en contact avec aucun représentant des groupes susmentionnés. Depuis qu’il a appris à naviguer sur les réseaux sociaux, il profite de son sécurisant anonymat pour s’attaquer en termes grossiers et sans aucune nuance à tout ce qui bouge et qui ne fait pas son affaire.

Tant qu’il se contentait d’évoluer dans la sphère du privé, il demeurait toujours possible de faire abstraction de la présence de l’épais, de caler son bock en vitesse, de changer d’établissement ou de trouver refuge dans la garnotte sur l’accotement le temps que le gros cave au volant de sa grosse cylindrée ou de son pick-up jacké soit passé. Mais les temps ont changé. L’épais est aujourd’hui devenu un héros populaire, soutenu par une masse d’épais comme lui qui ne s’en peuvent plus de jouir dans leur culotte à la pensée qu’un des leurs est enfin parvenu à atteindre les sommets. Les morons de tout acabit (autre terme accrédité), tout aussi ignares, incultes, rétrogrades et vulgaires que leur chef, peuvent enfin sortir de l’ombre comme une marée de zombies trop longtemps confinés à la noirceur de leur tombe. C’est ce qu’ils font aux États-Unis, et, encore incrédules parce que la nouvelle est toute fraîche, c’est ce qu’ils s’apprêtent à réaliser aussi en Ontario.

Bien qu’il y ait eu de tout temps des leaders cruels, despotiques, immoraux, la conquête du pouvoir impliquait généralement que le prétendant possède un certain nombre de connaissances et de qualités, ne serait-ce qu’en matière de stratégies et de diplomatie. Plus récemment, dans nos démocraties, on exigeait ordinairement de la part des partis ou des individus aspirant à diriger un État une feuille de route, un plan d’action, un programme, aussi minimaliste soit-il. On s’attendait aussi à ce que les candidats fassent preuve d’un minimum de bon sens, de courtoisie et de civisme. Fi de toutes ces finasseries et de cet enculage de mouches! Il suffit aujourd’hui d’être gros, contre tout, de fouailler avec fougue au cœur des travers les plus retors de l’être humain, de susciter et d’entretenir la grogne au sein d’une populace susceptible d’avaler la moindre couleuvre et trop heureuse de voir enfin l’un des leurs surgir du marais en annonçant qu’il va nettoyer le marécage.

Si ce n’était de jeter le discrédit sur ceux qui nous ont précédés sur cette terre il y a bien longtemps, on pourrait dire que nous sommes revenus au Moyen Âge. Le problème, c’est que nous n’avons pas 500 ans devant nous pour corriger le tir. Et on ne sait pas pendant combien de temps encore subsistera une humanité toujours en mesure de décerner quelque prix à qui que ce soit.

Pierre Landry         in Le mouton noir

Publié dans Glanures

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