Les trous noirs du temps

Publié le par la freniere

On attend tous la mort, mais on ignore quand elle sera là. On s’y pratique avec le désespoir, la peur, la douleur. Les balles perdues se trouvent souvent dans les cadavres innocents. Le paysage s’habille de pluie pour cacher ses blessures. Les nuages de Baudelaire envahissent le ciel. Les rêves des chevreuils mâchouillent la musique des herbes. Les arbres sont émus quand une bête se blesse. Les saules et les enfants pleurent. Les érables rougissent. Les peupliers frissonnent. La fureur du vent ne décolère pas, mais l’air se colore avec les saisons. La mer donne le sel. Les mains forment des gestes. Les buses plongent vers le sol attraper des mulots. Les yeux des chats se tournent vers les nids, la course des tamias, l’envol des mésanges. Ils prennent pour des oiseaux les feuilles tombées de l’arbre. Le silence s’alourdit du poids des mots. Ils engraissent le ventre des images, la panse du cerveau. Un tas de lettres s’accumulent sur la page, une meule d’idées noires, une martingale byzantine. La musique se remplit de couac, de corneilles, de crécelles et de grelots fêlés. Je laisse respirer la terre. En cas de malheur, je reprise une chemise de bonheur. Je tricote un foulard au lieu d’une corde pour se pendre. Je change l’argent du pain pour un bout de poème où les mots jouent à saute-mouton ou à colin-maillard. Ma mémoire s’enfonce dans les trous noirs du temps.

Jean-Marc La Frenière

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