Une porte

Publié le par la freniere

La boule blanche des pissenlits mendie l’aide du vent pour disperser ses spores. La fleur devient fleur en offrant son parfum. La louve devient tendre avec ses petits. Les lucioles étincellent. Je cherche le pollen dans la rose des vents. Nous sommes souvent des salauds s’habillant dans les plus beaux mensonges, des imbéciles heureux, des ermites fous de sagesse, un rond de blanc qui tourne dans son œuf, des banquiers aussi utiles à l’homme que des plumes aux poissons. Il y a toujours une porte ouverte, les gonds usés, une serrure béante au fond du temps. Je suis toujours l’enfant qui tourne la poignée. Je m’étonne que la vie continue, que les enfants grandissent, que les femmes accouchent. Je vis de ce qu’on jette dans la boite à ordures.

À force de lire chaque jour les sornettes des journaux, on oublie le langage des arbres. J’aime les mots neufs sur une barquette de papier, les phrases tapissées sur les murs d’une baraque. Je les aime comme les vaches le gros sel. On a beau s’habiller de colère et d’espoir, on reste prisonnier de ce qui nous habite. On a beau s’évader, l’angoisse qui mène à l’écriture ne nous quitte jamais. L’homme est le monde. Le monde est l’homme. Le monde et l’homme se complètent. La langage glorifie ou condamne. L’écriture n’est jamais innocente. Hitler et Staline ont leurs thuriféraires. C’est en téléférique qu’ils ont gravi leur montagne de morts.

C’est au nom de rien que nous sommes des frères. Malgré ses démangeaisons lexicales, une morale de rien anime l’écriture. Il n’y a rien qui ne soit vrai. Un livre publié doit se défaire dans ceux qui suivent. La vérité est le droit à l’erreur. Les phrases et les ratures s’associent. Nous nous faisons la peau en arrachant des lambeaux d’âme. Il faut les recoudre avec des mots. La phrase est nue entre les lignes. Elle se déshabille dans la marge.

Je pense au suicide de Crevel, à celui de Nerval. Chacune de leurs phrases est une corde pour se pendre. Le monde prend le visage du meurtre ou de l’amour, la couleur du sang ou de l’azur. Derrière le mur de la connerie, la clôture des bêtises, la vie continue sa route. Les arbres philosophent. Les racines s’entraident. Les plantes font des fruits. Les fleurs se balancent sur un panier d’odeurs. La pluie amuse les légumes du jardin.

Toutes les urines se mêlent dans la terre. Il n’y a pas assez de moutons pour endormir la mer. Quand les jonquilles prennent la place des perce-neige, les moutons sont des éponges humides. L’agnelage remplace le sommeil. Les poussins parlent tôt. Ils se mettent à pépier au moindre son de la poule. La météo joue aux dames avec le temps où l’essentiel surnage. Les yeux des vaches ont un regard panoramique. Ils voient les trains se courber sur les rails. L’absurde et l’absolu se font signe, l’absence et la présence, le silence et le bruit.

Les mots sont des lentilles de lunettes. Il faut qu’ils soient centrés dans la monture des phrases, bien à plat sur le nez du langage. Le mépris se nourrit des méprises et l’ironie manque d’humour. Je  fouille et farfouille dans les entrailles de la terre. Il faut goûter aux larmes végétales, au jus des canneberges, la sève de l’érable, la résine du pin, la gomme d’épinette, le sang rouge des framboisiers, le sang bleu des lavandes, le mauvais sang des hommes. Des métaphores scintillent dans le ruisseau des mots. La présence de l’autre, la connaissance de l’être nous font naître.

Jean-Marc La Frenière

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article