À ce prix
Fallait-il que le sang coule
quand il y avait encore de l’herbe à faucher
des écoles de géographie de géologie de savoir
quand les chaises les tables reposaient en paix
fallait-il au fort de la drave
le temps des chrysalides des enfantements
fermer les livres des jardins
s’enfermer avec tant d’ignorance ?
Regarde-moi dans les yeux
dans les yeux ruisselle la lumière
y traversent les bêtes
l’obscurité s’y fait jour
regarde-moi sans brandir tes couteaux
homme d’effrayantes machinations
fallait-il que le sang coule à tout prix
sur sa robe de neige et d’enfance ?
Sur la chaussée fallait-il perdre patience
sans nous expliquer sans nous reconnaître
malgré nos ressemblances malgré l’été ?
Nous aimions-nous sans compter nos pas ?
La parole n’allumait plus les regards.
Fallait-il mon Dieu dans les champs de seigle
dans le miel de nos voix dans les bosquets
que les uns se dressent contre les autres ?
Fallait-il clôturer la parole tourner le dos
disparaître avant la fin des récoltes
et laisser la terre mourir de sa belle mort ?
J’ai beau relire les saisons
repasser la leçon des plantes des insectes
savoir l’amour sur le bout des doigts
le sang n’arrête pas de couler
quand ruisselle la lumière dans nos yeux.
Fallait-il que le sang coule encore
pendant que ronronnaient les chats les vivant
pendant que la couturière habillait le temps
sauvait les heures d’une mort certaine ?
Fallait-il sacrifier les cigales
se résigner à l’ennui derrière nos portes
cordés comme du bois mort
sans s’attendre aux vents de folie ?
Fallait-il museler notre amour
s’endormir sur nos chaises
rassir comme du pain oublié
éteindre les lampes
se cacher sous les lits
quand l’un de nos semblables
frappait à notre fenêtre
demandait son chemin ?