À l'homme de la rue
Quand de sombres proclamations
De nouveau englueront nos murs,
Quand «APPEL AUX POPULATIONS»
De noires lettres hurleront,
Quand chaque morveux, chaque faux dur
Chantera leur vieille chanson :
Qu’il faut y aller, tous aux armes ;
Tuez, pillez, sonnez l’alarme !
Quand ils mettront le mot patrie
À mille sauces magnifiques,
Avec de vieux emblèmes fleuris,
Avec les «raisons historiques» ;
Frontière, gloire, peuple, nation,
Pères aïeux, cités, drapeaux,
Nos victimes et nos héros ;
Lorsqu’évêques, rabbins, pasteurs
Viendront bénir les mitrailleurs,
Car le Bon Dieu lui-même dit
Qu’il faut tuer pour la patrie ;
Lorsque l’ignominie hurlante
De nos journaux rejaillira
Et des femelles effrayantes
Jetteront des fleurs à «nos p’tits gars»,
Ô toi, mon ami peu savant
D’ici, d’en face, mon prochain !
Sache que si les possédants
Soudain ont sonné le tocsin,
Qu’ils te crient «Arme sur l’épaule!»
C’est un mensonge, c’est du fard,
C’est qu’ils ont trouvé du pétrole
Et vont en faire des dollars,
Que quelque banque va à vau l’eau,
Qu’ils ont senti le gros pognon,
Ou bien qu’ils visent, gros salauds,
Un bel impôt sur le coton,
Crosse en l’air, crosse en l’air !
L’or est à eux, à toi le sang !
Allons, par-dessus les frontières,
Crions pour interdire la guerre :
«Sans nous, messieurs les possédants » !
Julian Tuwim
Traduit du polonais par Jacques Burko