Montréal

Publié le par la freniere

Ça faisait longtemps. Des années, en fait, que nous n’avions pas passé tant de temps ensemble. Je viens souvent, mais jamais pour te voir. Aussitôt le boulot terminé, je saute dans le train. Tes rues décorent les fenêtres des taxis dans lesquels je te traverse.

 

C’est en te marchant et en te courant, la semaine dernière, que je me suis rendu compte à quel point tu m’avais manqué. Qu’il nous fallait ce temps de qualité qui ne se déploie que dans le quotidien, quand on s’habitue l’un à l’autre. Où ai-je lu, déjà, que la routine, c’est aussi l’intimité ?

 

Je me suis ennuyé de plusieurs choses chez toi. Peut-être en tout premier lieu de cette vibration familière. J’ai habité ici un an, et si cela en fera bientôt 20, l’âge que j’avais alors, cette onde qui te traverse et qui est peut-être ton âme est demeurée inchangée. Revenir, ne serait-ce que pour quelques jours, c’est comme coucher avec une de ses ex. Règne alors une étrange familiarité qui se compose de gestes connus, mais qu’on avait oubliés, de mots et de manières de les dire qui court-circuitent le présent en le mettant en contact avec le passé.

 

Tes trottoirs graisseux, tes milliers de vélos déglingués, la puanteur des poubelles le matin devant chez Schwartz, L’Oblique sur Marianne, Les 4 Frères sur Saint-Laurent, les pavés de Duluth, le comptoir du café Italia : ils sont encore là et rappellent à ma mémoire la mélancolie que j’y ai traînée. Mes souvenirs sont une toune de Michel Rivard.

 

Tu veux savoir ce que j’apprécie le plus de toi, Montréal ? C’est cet orgueil qui me fait aussi te détester. Celui qui te permet de te contrefoutre de ce que le reste du Québec pense de toi en même temps qu’il te pousse à folkloriser ce qui ne trouve pas refuge sur ton île. Cette insupportable conviction que, hors du 514, point de salut.

 

N’empêche, je t’aime. Je ne comprendrai jamais tes détracteurs qui te reprochent d’être sale, encore moins lorsqu’ils te disent laide. Ceux-là s’arrêtent à des cicatrices, à quelques fautes de goût et à ton acné de cônes orange. Leur conformisme est presque aussi ennuyeux que ton futur maire. Moi, j’aime ton style dépareillé, souvent même débraillé. J’aime ton chaos, et je ne te trouve jamais aussi belle que lorsque tu n’essayes pas de l’être.

 

Je te regarde depuis le balcon de l’appartement où je passe quelques jours cette semaine, rue Saint-Joseph, et t’es belle comme ta montagne, ses arbres à moitié décharnés la privant de la plupart de ses couleurs. La voici presque grise, comme retournée, sa croix minuscule dans la nuit que jaunissent les lampadaires. T’es belle Montréal quand tu te peuples de zombies un samedi après-midi, belle comme le dépanneur chinois qui pue sur Charlevoix, avec ta richesse et ta misère et tout ce monde comprimé entre les deux, tous ces gens qui luttent pour se coller à la première ou pour éviter la seconde. Tous ces gens qui fréquentent le même dépanneur.

 

T’es belle avec tes krishnas en pantalons bouffants et en manteaux Arc’téryx le samedi après-midi sur Sainte-Catherine, avec ton monde poqué de la veille qui attend en file pour déjeuner dans un resto trop cher la fin de semaine, avec les grands Noirs en survêtement de sport qui tuent le temps, affalés sur l’escalier de l’église St. James. T’es belle sur Ontario, belle dans ta laideur, dans la vie qui s’accroche malgré l’horreur, dans la misère des demi-sous-sols en stucco, des bars de merde, de la loterie vidéo et des putes qui paradent dans leurs costumes de vinyle blancs comme la coke ensachée, le quart de gramme vendu au prix de la pipe.

 

T’es belle, mais t’es un peu nounoune. Tu prends tellement de mauvaises décisions depuis tellement longtemps que j’ai un peu pitié de toi. Doré, Bourque, Tremblay. Tes maires te font honte, tu le sais, mais c’est comme si tu n’arrivais pas à comprendre.

 

Le prochain aussi est indigne de toi. Mais ce n’est pas vrai qu’on a toujours les politiciens qu’on mérite. Québec ne mérite pas les pitreries de Régis Labeaume. Saguenay n’a pas commis de péché assez grave pour devoir subir les sermons de Jean Tremblay. Laval n’a rien fait de suffisamment indigne pour souffrir Gilles Vaillancourt. Sauf peut-être d’avoir si peu voté. 35 % de taux de participation en 2009. C’est 10 de moins que la moyenne québécoise, déjà misérable.

 

Montréal, je t’aime, mais je ne te comprends pas. Toi qui n’es que si rarement pute, toi qui n’essayes pas de te faire aimer sinon pour ce que tu es, pourquoi t’apprêtes-tu à élire un dépendant affectif, tellement affamé d’amour qu’il s’en administre lui-même à la tonne?

 

Montréal, t’es drôle. Dans le sens d’étrange. Tu ne veux rien savoir de personne, mais t’es prête à croire le premier venu qui te dit que t’es bonne, que t’es fine, que t’es belle. Comme moi ? C’est pas pareil. J’ai rien à vendre. Écoute bien ceux qui chantent tes louanges en ce moment. Ce n’est pas de ton avenir qu’ils parlent. C’est du leur.

 

David Desjardins   Le Devoir

Publié dans Glanures

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