Prose des jours
c'est ici qu'en l'année mille neuf cent trente-trois
j'ai commencé de mourir
c'est ici qu'en l'an mille neuf cent soixante-quatre
je n'ai pas fini de vivre
bonheur ou malheur je n'en ai cure ni de prose
ou de poésie
le langage tout entier est ainsi que l'homme à son
image et remembrance
et qui dénouera la vie à l'envers le nœud la mort
à l'endroit
du silence je viens au silence je retourne j'entends
le silence à deux
que si les mots ne font pas bien à la tâche nous
serons seuls une fois de plus
j'aurai mal parlé et toi de même car l'écoute est
une parole
tantôt belle tantôt laide comme la ruelle de
mon enfance
il me revient aux lèvres une chanson du quartier
et que chantaient les éboueurs le samedi matin
cela disait que la terre est ronde et que le soleil
brille pour tout le monde
j'ignore ce que sont devenus ces hommes gluants
mais la chanson mentait
ils devaient sans douter eux qui chantaient dans
l'ordure
moi ça m'a ôté le goût de faire des phrases comme
des entourloupettes
quand je dis que je t'aime ça devrait suffire mais
ça coûte cher ces aveux-là
il y a en trop qui jouent avec les mots comme les
intellectuels avec les allumettes
c'est à croire qu'ils n'ont jamais eu froid et qu'ils
ne connaissent pas le prix d'un peu de chaleur
même inhumaine
donc c'est ci que je me retrouve dans une ville qui
s'appelle Montréal et qui est mal fichue de haut
en bas
moi je l'aime c'est ma jeunesse et c'est mes amours
c'est la tendresse du vieil enfant qui dort en moi
et que j'éveille au matin de chaque jour
Jacques Brault