Luc Lecompte

Publié le par la freniere

Toute vie est fiction et tend à s’éloigner des événements réels qui l’ont jalonnée.  Le souvenir est truqué et le mensonge, seul lieu vrai de toute vie.  Lieu essentiel pourtant… parce que, là, fantasme l’impossible.

Luc Lecompte est Gémeaux ascendant Scorpion.  Du moins, il aimerait le croire… comme il a cru aux grandes personnes, aux miroirs que l’on peut traverser, à ces lieux inouïs qui rêvent sans dormir.

Pour le reste, il faut laisser au souvenir le droit d’inventer, de fausser le réel.

Par exemple, laissons la mémoire raconter une enfance au bord d’une ville d’eau, traversée de ponts, de canaux, de rivières.  Une ville née autour d’une baie bordée de quais en pierre où s’alternent des bittes de fer rouges et vertes.  À la base des quais respirent les algues.  Chevelure vivante qui monte et descend, cela attirant et effrayant l’enfant.

Par exemple, laissons le fantasme créer un chien et ce souvenir précieux d’avoir un jour partagé sa niche.  De s’y être endormi, protégé par cet ange subalterne gardant l’entrée de la tanière.

Par exemple, laissons les vieilles photos fabriquer des parents qui tournent autour de l’enfant comme des astres durs et tendres laissant, malgré eux, l’amour traîner dans le déséquilibre.

La mémoire imagine aussi une adolescence carcérale.  Un petit séminaire rigide mais fourmillant d’asiles : salle d’arts, chapelle style Don Bello, cachettes où rêver la danse, la peinture, la musique, la littérature, l’amour.  Sur tout cela, l’ennui.  Profond.  Tenace.  Mais aussi les grands élans : Proust, Francis Bacon et le cinéma de Cocteau; Saint Denys-Garneau, le Pop Art et le Requiem de Fauré; Rilke, les Beatles et Saint Sébastien; Ionesco, Pink Floyd et Notre-Dame des Fleurs de Genet… Tout cela, plus l’arrivée d’élans amoureux aussi beaux qu’inaccessibles.

Depuis, la vie imagine des scénarios inattendus, amours délirantes, solitudes catastrophiques, lieux d’écriture, de délire, d’amertume, de sagesse qui attendent encore tout… pour choisir la chose exaltée qui, par essence, n’arrivera jamais…
 

Bibliographie :

Ces étirements du regard, L’Hexagone
Les géographies de l’illusionniste
, L’Hexagone
Le dentier d’Enée
, L’Hexagone
La tenture nuptiale
, L’Hexagone
Inventaire
, Éditions du Noroit
Chronique du temps animal
, Éditions du Noroit
Rouge malsain
, Les Herbes Rouges
Le dernier doute des bêtes
, Éditions du Noroit
L’ombre du chien
, Les Herbes Rouges
Dans l’ombre saccagée du désir,
Éditions du Noroit
 
Son site : http://www.luclecompte.com/
 
 
Tracés de nuit
 
-1-
 
Les mots vont de nuit
cherchant dans l’obscurité
un lieu où prendre pied
un lieu établi comme un silence
un lieu faisant subir l’épreuve
du feu muet
validant tout cri.
 
-2-
 
Les mots vont
approximatifs
arrogants cartographes du noir
alors même qu’ils sont sans balises
pour mesurer la moindre avancée
sur le rien
toujours là
devant
plus opaque.
 
-3-
 
Aveugle
le pas des mots est lui-même
nuit dans la nuit
ténèbres cherchant le nulle part
de nous-mêmes
que nous imaginons
caché
dans l’immensité
mais qui sans cesse s’écoule
dans les tamis
prévus là depuis toujours.
 
-4-
 
La cécité des mots a pacte
avec le secret
avec ce que nous ignorons
avec ce qui tremble
si près du crépuscule
où nous croyons discerner
le fin réseau d’ombres
se dérobant
au fauve des lois édictées
dans la brûlure du jour.
 
-5-
 
Dans l’opacité
la ténèbre des mots
tâtonne
touche cela
soudain affleurant
cela
ce grouillement
qui s’agite, glisse
puis s’épuise dans l’embrassement même
qui semblait enfin l’étreindre.
 
-6-
 
Mais ce rien s’éloigne encore.
Alors les mots risquent
leur vie maigre de mots
leur vie
chaotique de l’ornière
qu’ils n’avaient pas su éviter
vulnérable de l’abysse
où s’engouffrent leurs trajets
s’ignorant.
 
-7-
 
Car les routes pressenties
n’existent jamais devant les pas
mais seulement derrière
tracés obscurs
laissant présumer
qu’une carte puisse être dressée
et qu’il subsiste
quelque part
des géographies noires
des villes de nous-mêmes
pouvant échapper
à la morsure solaire.
 
-8-
 
Dans le songe voilé
dans le simulacre vide des traces
les pas sont mensonges
et la perte
infinie
là où les mots progressent
là où ils ont cru boire
l’haleine noire
des obscurités
qui nous façonnent
et perlent nos douleurs de désirs.
 
-9-
 
Jusqu’à l’aube
ainsi s’épuise le poème
vers ces voix
vers ces murmures fossiles...
peut-être seulement bruits silencieux
d’astres agonisant
ou mensonges du vide
se répercutant
contre des décors improbables
jamais vraiment devinés.
 
-10-
 
Jusqu’à l’aube
les mots avancent ainsi
dans cet effleurement de l’ange
dont le doigt pointe la déroute
du combat livré contre nous.
Alors
le poème a des saintetés vaincues
plus belles encore de l’échec guerrier
où les mots s’amenuisent.
Et nous boitons
la hanche alourdie
de cette lutte avec ce noir
qui fut Dieu.
 
Poème paru dans la revue Nouaison, numéro deux, 2001
 
Rose
 
rose caressé sur les chairs
rose porté au doigt comme une aurore
rose ouvragé de bois secrets
rose pâmé de pétales dans la narine
rose dansé sur le mercredi des Cendres
rose haï des femmes brisées en tes maquillages
rose rock des néons crépitants
rose barbare des cruautés et des éjaculations pornos
rose hurlé en triangle dans les camps de la mort
rose abandonné, ligoté aux clôtures haineuses
rose vieux de l'amour éteint
rose tassé comme un espoir contre le crépuscule
prends pitié de nos obscurités.
 
Luc Lecompte
 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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