Le premier mot 2

Publié le par la freniere

L'écriture ajoute une ombre à la lumière tout autant qu'une lumière à l'ombre. Nous cherchons dans les mots ce qui disparaît du monde, la main qui manque, les gestes oubliés. C'est l'eau qui tombe d'une horloge pour abreuver les pas, la terre endormie s'éveillant sous le soc du rêve, une lampe inquiète qui dissipe la brume. C'est le ventre encore chaud où l'on revient parfois, la flamme latente dans les paroles éteintes, l'espace entrevu entre silence et cri, entre le noir et les images. C'est la note feuillue qui pointe dans le bourgeon avant qu'elle n'aille rejoindre toute la symphonie d'un arbre. Les mots ramassent les sentiments en loques, les gestes en morceaux, pour en refaire les bras, les mains, les doigts, les caresses. Je laisse des mots sur la page pour accueillir les autres, des mots comme des bras, des blancs comme des chaises, des ratures comme un lit où étendre sa voix.

Le langage est un objet vivant. Quand l'écriture penche, c'est un peu la fatigue, l'éveil quand elle se dresse ou la colère quand les phrases pointent du doigt. La parole a un envers et un endroit, un envers dans la pénombre et un endroit plus éclairé. Les mots qui se détachent du blanc, j'en cherche la lumière parmi les autres mots, les miens, mais surtout ceux des autres. Ceux qui se séparent des mots finissent par en mourir. On doit toujours lutter contre l'impossible.

J'écris comme je marche. Je parle en respectant la vie. Je n'écris pas pour décrire mais pour toucher. Le lecteur n'est pas un spectateur mais un participant. Ses yeux travaillent au noir dans le champ des images.

Présent à ma fragilité comme une pierre qu'on ne voit pas, j'ai repassé les époques de ma vie sans m'y noyer. Il a suffi d'un rêve pour reprendre courage, d'une goutte de lumière sur mes corolles de ténèbres, d'une illusion peut-être, d'une vague entrevue sur le pas de ma porte. Il a suffit qu'un rire agite sa carcasse dans le chambranle du doute. Il a suffi de parler sans retenir mon souffle pour renaître dans chaque atome d'univers. Nos limites se confondent sur la ligne d'horizon. Nos images éphémères forment l'éternité. Nous sommes tous de passage. Nous sommes une houe, un soc, un araire entre les cuisses de la terre fécondant le présent de tout ce qu'on y cherche.

Les idées sont des clefs qui rouillent les serrures. La pensée s'empoussière sur les étagères du savoir. Elle meurt de l'air du temps sans friper son habit. Les images sont des femmes qui marchent vers le peintre. Elles prennent vie sous le poil des pinceaux, la salive des poètes et les regards du vent. C'est l’œil ouvert du mystère, les cheveux déployés sur l'épaule du temps, la main de la conscience caressant le miracle, le fœtus du jour dans le ventre des draps. C'est un masque de Nô qui s'ouvre au soleil, l'acteur hébété qui retrouve sa peau et les mains de l'enfance. C'est le cours des eaux contemporain du sens.

Toutes les choses dégagent une lumière intérieure que l’œil des caméras, le poil des pinceaux et l'encre des crayons n'arrêtent pas de frôler. C'est la succion du temps par les ventouses de l'oubli, la mémoire future dans le cri du présent. C'est la lumière des mots sous la peau des écrans, la chair des claviers où les lettres s'enfoncent. C'est la carte du sang dans les artères du cœur.

Il y a des lignes qui laissent un creux dans les paumes. Je laisse pour la nuit une lampe en papier éclairée par le rêve. Elle guide les fantômes qui se croyaient perdus, les fontaines oubliées, les fleurs non écloses attendant leur abeille. L'image perd ses eaux dans le sillage des yeux. Il y a comme une éclipse de nuit dans les regards ouverts. Se perdre quelque fois, nous mène à l'origine.

(...)


Publié dans Le premier mot

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article