Davertige

Publié le par la freniere

 

Le poète Davertige naît Villard Denis à Port-au-Prince le 2 décembre 1940. Son père Aristhène Denis, maître d'hôtel, et sa mère Jeanne Féquière, originaire de Cavaillon, se sont mariés en 1933. Ils ont eu quatre enfants: William, Raymonde, Daniel et Villard.
     Villard Denis vit avec ses parents dont la propriété est limitée par la plantation Laforesterie, domaine situé à Port-au-Prince au bas du quartier Morne L'Hôpital. Sa mère lui fait croire qu'il est d'origine bourgeoise. Devenu adulte, il garde l'impression d'avoir vécu, enfant, dans un château.
      Très tôt, il apprend le français et le parle couramment grâce à une Guadeloupéenne, Alice, dame âgée hébergée par ses parents de 1939 à 1945 et qu'il appelle affectueusement Grand-mère Alice.
À cinq ans, Villard Denis tombe de l'escalier extérieur de la maison. Depuis, il est considéré comme un gamin de santé délicate. À six ans, il entre aux Cours privés Colbert Bonhomme où il fait ses études primaires.
      À neuf ans, sa famille remarque son intérêt pour le dessin et les arts plastiques. Ses parents l'encouragent à condition que cela ne nuise à ses études. Comme il ne peut jouer avec ses camarades à cause de son état maladif, il lit des manuels de littérature française, du Moyen-âge jusqu'à la Révolution française. Ainsi, il fréquente l'œuvre de Villon, de Du Bellay et d'autres classiques.
      À douze ans, parallèlement à ses études secondaires aux Cours privés Simon Bolivar, il entre au Centre de céramique de l'Éducation nationale où il travaille avec le peintre et céramiste Tiga. Il y rencontre également d'autres artistes. Au fil de ses lectures, il acquiert une autonomie de pensée et prend conscience des mensonges sociaux et familiaux.
      Il commence à fréquenter le Foyer des Arts plastiques en 1954. Il entreprend son apprentissage sous la direction du peintre Dieudonné Cédor qu'il considère comme son maître. Il dévore la bibliothèque du Foyer et découvre l'ouvrage La vie de Van Gogh (Hachette, 1959) qui l'attriste profondément. Il se dit: «Je serai comme Van Gogh qui de son vivant n'a pas vendu un seul tableau». Très sombres, ses premières toiles n'intéressent personne. La vie intellectuelle du Foyer lui permet pourtant d'être au fait de l'actualité culturelle parisienne et mondiale.
      Il écrit ses premiers poèmes à dix-sept ans. Communiste, il participe activement à la lutte des étudiants.
      Villard Denis expose en février 1958 ses premières toiles à la Société nationale d'art dramatique (S.N.A.D.). Il présente, entre autres, la toile «Christ nègre». Marquée par le réalisme socialiste, son œuvre rend compte de l'injustice du monde. L'exposition est saluée par l'historien Michel-Philippe Lerebours dans la revue Coumbite.
      En 1959, il présente ses premiers poèmes sous le pseudonyme de Davertige, le nom de Villard Denis étant trop rattaché à ses activités de peintre. Il rencontre Roland Morisseau, le premier poète à qui il montre ses poèmes. Il se lie d'amitié avec le poète René Philoctète à la suite d'une séance du groupe littéraire Samba. Ce groupe de poètes – Roland Morisseau, René Philoctète, Davertige, Serge Legagneur, Anthony Phelps, Auguste Thénor – deviendra par la suite Haïti Littéraire.
      En 1960, il achète la bibliothèque du peintre Jacques Gabriel. Il apprend par la suite que la bibliothèque avait d'abord appartenu au peintre et intellectuel Roland Dorcély. Les ouvrages avaient été soigneusement choisis par les écrivains français Maurice Nadeau et Michel Leiris.
      Pour mieux incarner la modernité, Philoctète et Davertige veulent rompre avec la tradition poétique haïtienne, parnassienne et romantique. Ils suivent les traces du poète Magloire-Saint-Aude. Les grandes amitiés développées au sein d'Haïti Littéraire – Davertige et Legagneur; Morisseau et Philoctète – enrichissent énormément leurs créations.
      Suite à l'arrestation de son ami, l'étudiant Jacques Duvieulla, Davertige se réfugie chez une dame lavandière de profession, amie de son mentor Cédor, en banlieue de Port-au-Prince. Il écrit alors son recueil Idem de septembre 1960 à février 1961. Il passe son temps à lire ses poèmes à haute voix, à la Lautréamont.
      À Port-au-Prince, le 7 janvier 1962, Idem paraît, publié sous les presses de l'Imprimerie Théodore à compte d'auteur, et préfacé par le poète Serge Legagneur dans la collection Haïti Littéraire. Pour payer le tirage des 300 copies, Davertige vend sa voiture, une Jeep Willis. Comme la somme n'est pas suffisante, il supprime – sous la pression de Théodore – le quart du texte qu'il balance dans un égoût. Les poèmes jetés sont des textes engagés, influencés par le réalisme socialiste.
      Le poème «Pétion-Ville en blanc et noir», le dernier du recueil, est un témoignage de son séjour forcé chez la lavandière. Ce poème, écrit le 9 février 1961, facile d'accès, est une concession à la gauche haïtienne, fervente de réalisme socialiste, qui l'accuse d'être hermétique.
      Villard Denis vit de sa peinture de 1960 à 1962, ce qui permet à Davertige d'écrire. Il travaille pour Issa El Saieh, galeriste, gagnant près de quatre cents dollars par mois.
      En 1962, il troque sa peinture contre des livres à la Librairie Select où il rencontre le libraire Noisy et l'un des grands lecteurs de Port-au-Prince, Guy Dallemand. Il fréquente également la librairie La Pléïade. Ses lectures lui sont fructueuses; plus tard, à Paris, rien ne lui sera étranger. Il lit Saint-John Perse, les poètes afro-américains et les voix de la Négritude: Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Léopold Sedar Senghor...
      Au début des années 1960, malgré sa renommée de peintre et de poète, il n'a pas de fiancée. Bohème, il fréquente de temps à autre les prostituées.
      En 1962, le critique littéraire Maurice Lubin, à l'occasion d'un séjour à Paris, fait circuler les œuvres du groupe Haïti Littéraire et adresse une copie d'Idem au poète Alain Bosquet. En 1963, celui-ci salue le génie de l'auteur d'Idem dans le journal Le Monde.
      En 1963, les poètes d'Haïti Littéraire – Morisseau, Philoctète, Phelps et Thénor – sont applaudis par Eugénie Galpérina, critique littéraire soviétique. Dans son article, repris en Haïti, le nom de Davertige est malencontreusement omis. Afin de réparer l'injustice, René Philoctète écrit un article élogieux sur Idem dans la revue Semences.
      Dans un entretien accordé à la revue franco-haïtienne Conjonctions, en 1964, Davertige déclare: «Je n'ai aucune honte, moi, à dire qu'un jeune écrivain qui nourrit beaucoup d'ambitions doit s'expatrier. Par besoin d'oxygène». Quelques mois plus tard, avec l'intention d'explorer l'Europe, Davertige s'arrête quelques jours à New York; il y demeure un an. Il travaille alors à Art d'Haïti, petite boutique de peinture tenue par Léon Chalom où il fait de l'art commercial pour le compte de la maison Carlman.
      La même année, par l'entremise d'un ami commun, il fait la connaissance d'Alain Bosquet au Carnegie Hall. La rencontre est chaleureuse. Bosquet écrit un élogieux article sur Idem dans Combat en 1965. Avec une préface de Bosquet, Idem est réédité à Paris à 650 exemplaires chez Seghers. Davertige vit toujours aux États-Unis. Une note parue dans L'Express dit, à tort: «poursuivi par les tonton-macoutes de Duvalier, il ne pouvait plus retourner en Haïti».
      En octobre 1965, Davertige arrive à Paris où il vit dans un petit hôtel du Quartier Latin. Davertige est assez heureux de sa rencontre avec le milieu parisien. Il fréquente les poètes Alain Bosquet, Pierre Emmanuel, André Laude... Les écrivains français lui rendent hommage dans une mise en espace d'Idem.
      En 1967, toujours à Paris, il s'installe avec une jeune Française, Chantale, rencontrée dans le cadre de ses activités politiques avec le groupe gauchiste F.A.R.H. Leur fille Éléonore naît en 1968.
      Au début des années 70: la désillusion. Le poète considère avoir tout perdu en Europe: le sens de la langue française, son prestige et son génie.
      De 1967 à 1973, il voit quotidiennement le poète Gary Klang, rue Gay-Lussac, 5ème arrondissement. Il fréquente également des intellectuels haïtiens de Paris comme Gérard Aubourg, Daniel Arty, Jean-Claude O'Garo.
      En 1968, avec les dirigeants du F.A.R.H. Fred et Reneld Baptiste, Davertige part pour la Chine où ils entreprennent des démarches auprès du gouvernement pour obtenir de l'argent et des munitions, mais la Chine ne manifeste aucun intérêt pour les luttes révolutionnaires en Haïti.
      Au début des années 70, Davertige commence la rédaction d'un roman qu'il espère l'œuvre de sa vie. Il cumule plus de 2000 pages d'une calligraphie menue, sans marge ni espacement. Plus tard, il met tout au feu.
      En 1970, à Paris, il rencontre Hérard Jadotte, éditeur de la maison d'édition Nouvelle Optique, qui l'invite à venir vivre à Montréal. En 1976, il rompt avec Chantale et quitte Paris pour Montréal.
      De 1976 à 2002, il se replie sur lui-même. Il peint et récrit Racine et Lafontaine. Il entame une voie mystique. «Les ténèbres: la vie s'achève. Plus de Villard Denis. Davertige est au passé. Son représentant Villard Denis est mort.»
      En 1987, il rentre en Haïti. Il séjourne pendant six mois chez son ami René Philoctète. En 1999, invité à exposer ses œuvres, il retourne à Port-au-Prince à l'occasion de la Rencontre des ministres latino-américains.
      En 2003, il récrit la plupart des poèmes d'Idem, dessine et participe activement à la publication de ses œuvres chez Mémoire d'encrier à Montréal, parues sous le titre Davertige, Anthologie secrète. L'ouvrage a été lancé au Salon du Livre de Montréal en novembre 2003.
     Davertige (Villard Denis) est mort à Montréal le 25 juillet 2004. Une série de textes-hommages avec des encres de Davertige – de la série «Aluminium fantôme» – seront prochainement mis en ligne sur «île en île».

– Rodney Saint-Éloi
 

Biographie adaptée de la «Chronologie» de Rodney Saint-Éloi, parue dans Anthologie secrète de Davertige (Montréal: Mémoire d'encrier, 2003): 147-151.

 
La légende de Villard Denis

La légende de Villard Denis
Est une légende simple et amère
Sous le tournoiement des couteaux de l'ardoise
Et de la corde en coryphée dans les branches

Elle voit au loin la cendre du cœur tourner
Entre des crocs et des salives
Pour dire la geste du cœur-aux-chiens
La légende était à leurs pieds
Avec mes vitres brisées dévorantes
Ma chemise trop fine voulant encercler l'incendie

Voici la légende du cœur-aux-chiens
Avec la célérité des flammes de la main
Qui disent non pour son sang vif
Ses cloches sonnent avec un bruit de bois sec
Au-dessus des arbres brisés en paraboles
Pour l'entraîner dans les dangers des fantômes tourbillonnants
Près du parapet des noms en serpents

La légende de Villard Denis à vos oreilles
Court à pas d'enfant dans les feuilles
Elle était docile aux pieds de la Sainte aux yeux d'argent
Le brasier recouvrant sa face
Elle était broyée par les bruyères de vos entrailles
Et veut parler au braiment du soleil
Le langage de l'homme pathétique
Et que viennent les poètes d'antan
Et s'en aillent ceux d'aujourd'hui
Dans le cycle de ses lamentos
Derrière le voile du crâne où se tissent les funérailles fissurées

Pour contenir son dos dans la gloire de sa Parole revenue
Un voyage qu'elle entreprend à sa façon
Pour pénétrer dans l'or ouvert
Des bras de la Vierge aux cheveux blonds

C'est le cœur de Villard Denis
Émerveillé dans un monde en pâtures
Sous les nuages violets des chiens
Où gisent le glas de la tombe et l'émerveillement de ses nuits
Crépitant dessous les sanglots dans le crachoir imberbe de sa face

Un cœur aux pourceaux dans la patrie brûlée des passants
Et qui craque sur les fémurs de la fleur-aux-dents
Dévidant la bouteille de ses mots sans âge
Mourant dans la chaîne infinie des flots
Sous les flûtes de farine du cœur
Ô suaire de ma naissance
Sur la table aux tiroirs ouverts
Où le verre creuse le puits pour dévider enfin le miracle de l'arme des colonels
Des roses fanées sur la surface de la légende
S'appuyant la tête à nos genoux

Ce n'est pas adieu que je dis aux étoiles de vos talons

Qu'en Enfer les dieux vous bénissent
Et sous la girouette du sang
Chante la légende de Villard
Qui est une légende immortelle.

 
Omabarigore

Omabarigore la ville que j'ai créée pour toi
En prenant la mer dans mes bras
Et les paysages autour de ma tête
Toutes les plantes sont ivres et portent leur printemps
Sur leur tige que les vents bâillonnent
Au milieu des forêts qui résonnent de nos sens
Des arbres sont debout qui connaissent nos secrets
Toutes les portes s'ouvrent par la puissance de tes rêves
Chaque musicien a tes sens comme instrument
Et la nuit en collier autour de la danse
Car nous amarrons les orages
Aux bras des ordures de cuisine
La douleur tombe comme les murs de Jéricho
Les portes s'ouvrent par ta seule puissance d'amour
Omabarigore où sonnent
Toutes les cloches de l'amour et de la vie
La carte s'éclaire comme ce visage que j'aime
Deux miroirs recueillant les larmes du passé
Et le peuple de l'aube assiégeant nos regards

 

L'idée de cette Anthologie secrète a germé à Port-au-Prince durant l'année 2000 lorsque Villard Denis, dit Davertige, est passé me rendre visite aux Éditions Mémoire, rue Marcelin. J'ai tout de suite été séduit par la vivacité de cet homme élégant dont les yeux dissimulent mal l'angoisse. Il y avait dans la salle les poètes Dominique Batraville, Georges Castera et la galeriste Mireille Pérodin Jérôme. Davertige était parmi nous, semblant surgir d'un autre temps, habité par cet enthousiasme et cette rare passion du savoir.

     Ce jour-là, un dieu m'est tombé sur la tête. Davertige parlait avec aisance de philosophie et de poésie. Je lui ai demandé de rééditer aux Éditions Mémoire Idem, ce texte qui avait bénéficié d'une réception inespérée à sa parution en 1962 à Port-au-Prince, car nous, la génération des moins de quarante ans de Port-au-Prince, ne le connaissions tous que par procuration, citant de mémoire les poèmes emblématiques «Omabarigore» et «Pétion-ville en noir et blanc». Mon argument, ma pièce à conviction, fut de lui dire que les Haïtiens étaient tous orphelins d'Idem. Sans sourciller, Davertige accepta l'idée de cette publication.

     Mais ni lui ni moi n'avons pu aller au-delà de cette intention. Comment donner corps, forme et sens à ce texte et comment le présenter aujourd'hui alors que les trois premières éditions (Port-au-Prince, Paris et Montréal) avaient, semble-t-il, enfermé le texte dans une mythologie?

     Il fallait rencontrer à nouveau le poète et c'est à Montréal, ville qui nous a accueillis respectivement en 1976 pour lui et en 2001 pour moi, que la réédition d'Idem a été réabordée... Entre-temps, j'avais relu le texte et soupesé chaque poème, suffisamment pour croire que les histoires littéraires haïtienne, parisienne, québécoise et plus largement francophones risquaient de manquer l'un des actes poétiques les plus importants du XXe siècle.

     Le projet a débuté par tâtonnements. J'ai passé au peigne fin les éditions précédentes, les commentaires et critiques, fouillé dans des revues et magazines, demandé au poète de nouveaux textes. Je l'ai traqué, l'assiégeant à toutes heures du jour et de la nuit dans son appartement de la rue Wiseman dont je suis encore peut-être le seul à franchir le seuil. Ainsi m'a été offerte l'amitié précieuse du poète, une amitié qui va vers l'essence des choses et des êtres. Ainsi également, il m'a conté l'aventure d'Haïti Littéraire, ses démêlés avec la gauche haïtienne trop orthodoxe à son goût, ses lectures précoces et boulimiques, son séjour aux États-Unis et en France, ses rencontres avec le poète Alain Bosquet et les dinosaures de l'institution littéraire parisienne, sa réclusion à Montréal, les fantômes ayant volé sa jeunesse, et surtout le sentiment absolu de son inachèvement. Sans tragédie, autour d'un verre (la vodka à l'honneur), il avait ce sourire généreux d'où vient «La légende de Villard Denis».

     Je suis en face de Davertige, ce génie sans ordre qui se définit comme «cet adolescent qui cherche les réverbères éteints», et qui, dans sa quête chaotique, s'efface en ouvrant ses «obsèques à toutes mortes d'ici-bas et d'au-delà». Et pour cause:

L'amour s'en va me laissant seul dans le silence
Et mon avenir se confond avec les verres de fumée qu'on porte la nuit [...]

Je m'endors dans le lit de mon ombre.

     Cette voix poétique qui s'abrite dans le silence et dans la nuit est celle d'un homme seul ayant perdu son enfance et ses «jouets brisés»; Idem, tout comme la vie, est un acte testamentaire, qui s'accommode mal des «cannibales modernes». Aussi associe-t-il naturellement orages et ordures de cuisine, amour et linceul, rues et fantômes.

     Idem est l'histoire d'Idem, l'histoire d'un homme seul, de l'homme d'un seul livre, l'homme d'un seul vertige, sans présent, sans avenir, qui veut seulement résumer son passé, en partant à la «recherche de sa croyance» et des «statues de sanglots».

     Peu à peu le livre commençait à prendre forme. Soudain m'est venue l'idée de retourner aussi à Villard Denis, celui qui allait signer ses poèmes Davertige et qui jouissait déjà d'une grande réputation de peintre avant-gardiste à la fin des années cinquante. Il avait bousculé à Port-au-Prince les préjugés de l'époque avec sa toile le «Christ nègre» et sa manière de rejeter d'un seul revers de main tous les faux-paradis coloriés et tous les conforts esthétiques îliens. Je lui ai apporté du papier, de l'encre de Chine. Et c'est ainsi qu'il a composé «l'aventure de ses ombres» en des traits somptueux: une quinzaine de dessins pour cette anthologie. Il a construit lentement mais sûrement cet univers géométrique labyrinthique où «toute lumière s'est suicidée».

     Puis la photographe Johanne Assedou a accompagné Davertige dans les parcs de Montréal. Elle a photographié cet homme, toujours en costume cravate et chapeau melon, qui parle avec une noblesse singulière par ces temps où l'on ne sait plus ce que parler veut dire. Johanne, devenue assistante éditoriale à Mémoire d'encrier, a pris en main la publication, en révisant les textes, en travaillant à la mise en page, en appréciant secrètement cet homme qui s'enferme dans ses mystères.

     Est venue par la suite, malgré nous, la volonté du poète de récrire ses poèmes, d'enlever «les vétilles», de peaufiner... mais également de ré-orienter son dire premier, en dispersant tout, en bousculant surtout les poèmes les mieux reçus comme pour dénoncer à sa manière l'hypocrite lecteur... et pour se cacher sous le paratonnerre des mots, grâce à une métrique et une syntaxe iconoclastes.

     En relisant ces poèmes, je me suis rendu compte que Davertige, tout comme Pessoa, garde la digne discrétion de l'homme qui se perd vite dans la foule, tout en «portant en lui tous les rêves du monde». Cette Anthologie secrète est un acte de silence comme le furent la poésie et «La légende de Villard Denis». La vérité est que toute parole appartient au vent, mais que le vent qui la vole sait également la ramener au port.

– Rodney Saint-Éloi
Montréal, octobre 2003

 photos: Johanne Assedou

Publié dans Les marcheurs de rêve

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