Jean-Claude Caër

Publié le par la freniere

Jean-Claude Caër est né en 1952 à Plounévez Lochrist. Il est correcteur au Journal Officiel. C'est un poète aussi rare qu'une faute d'orthographe dans ce même Journal : trois livres en une vingtaine d’années. Poète du voyage et de la flânerie mais toujours près des hommes et de leur vie, Jean-Claude Caër, quoique enraciné dans sa Bretagne natale, est une manière d'observateur pérégrinant. Poème après poème, cheminant des deux côtés de l’Atlantique, de New York au Finistère ou de Little Odessa à Saint-Guevroc il met ses pas dans ceux de quelques uns des « grands disparus » de sa mythologie personnelle : Melville, Hawthorne, Hopper, E. Dickinson. Jean-Claude Caër arpente un monde « touché par la mort ». Son écriture évolue sans concessions, elle suit « la barque des morts » sous la terre et prolonge le périple sans jamais se couper de la réalité et de ses inévitables « passes périlleuses ».

Sépulture du souffle a reçu le prix du Petit Gaillon, destiné à soutenir l’édition indépendante.

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Bibliographie :

 

Sous l'Œil enveloppant de l'Aigle, Obsidiane, 1985

La Triste Sévérité, Obsidiane, 1994

Sépulture du souffle, Obsidiane, 2005 (Prix du Petit Gaillon, 2006)

En route pour Haida Gwaii, Obsidiane, 2011

 

Traduction

 

Les Chants de Nezahualcoyotl, avec Pascal Coumes, Obsidiane, 1985 - réédition Arfuyen, 2010

 

 

Extraits :


Je n’ai pas vu de baleines souffler au large, mais demain
je pars pour le Maine. La nuit tombe autour des phares jumeaux
qui ne s’allument pas. J’ai marché le long de la mer.
Tous les gens qui marchent le long de la mer se ressemblent.
Ce qui pousse là ? La rumeur des rivages les berce.
À Gloucester, après le bar des Seven Seas,
j’ai salué la modeste demeure d’Olson. Il vivait ici dans le Fort
face à la baie d’Ipswich, devant une manufacture et un fabricant
de glace.

Depuis que je suis parti, je n’ai vu que des arbres en feu.
Je pense au pays tel qu’il devait être.
D’Indiens, il n’y en a plus. Il ne reste que l’automne,
les arbres enflammés, telles les plumes de ceux qui ont disparu.
Et moi-même je ne suis qu’un pèlerin sur l’immense plage
d’Ogunquit. Mais qui regarde encore les pattes d’oiseau ?
Trouvant un petit caillou en forme de baleine,
je le mets dans ma poche.
Le pays, Thoreau, Les Bois du Maine.
Ces bois où l’on peut se perdre et disparaître,
où l’on sent la vie qui s’égrène lentement
comme une parenthèse ouverte entre nos doigts.

 

*

Je suis venu ici
Voir les Indiens, les grandes mesas,
Les Indiens Hopis, cœurs du ciel.
La danse du serpent appelle la pluie.
Ainsi je suis venu ici
Au Woodlawn Cemetery.

Sur la tombe de Melville et de son fils Malcom
Ce bouquet de fleurs jaunes
Du Désert de la mort rapporté ici
Sur la pelouse ombragée
Alors que mon père se vide de son sang
Et va mourir.
Il me souhaite un bon voyage
Lui qui va bientôt partir
S’est tourné vers le mur.
Le dernier mur. Le dernier murmure.
Et moi que suis-je venu faire ici par un lent détour
Si ce n’est retrouver sa vie ?

 

*

 

Dans le cimetière de Woodlawn
Au nord du Bronx
Où reposent Melville, Elisabeth Shaw
Et leur fils Malcom qui se donna la mort à 18 ans –
Jusqu'au jour de la résurection des corps –
Une tombe. Un parchemin vide. Une pierre blanche.
Nous errons comme des ombres,
Trois amis parmi 300 000 morts
Enterrés sous la pelouse ombragée.
Dans le cimetière de Woodlawn.
Nous cherchons notre ombre.
Les morts agressent moins que les vivants.
Ici nous cherchons notre tombe.
Temples grecs, obélisques, temples
Avec des chiens chinois.
Sur les statues un cardinal passe.

 

 *

 

Nous sommes passés de l'autre côté du monde

A l'heure où le monde là-bas s'endort.

"Je veux vivre plus intensément. Je me hâte de vivre. "

Me dit Juliana Steinbach au Café Mozart,

Pas si loin de la Julliard School.

Hommes sur le trottoir happés par les grandes avenues

Où s'engouffre le vent avec le ciel au loin entre les gratte-ciel.

Maine Océan. Maine le long de l'océan.

Aux îles éclatées.

Voir enfin le pays des sapins pointus,

Leurs fines aiguilles sur le ciel.

Une carte d'état-major pour l'armée des synapses.

Au crayon

Mine de plomb.

 

*

 

Irai-je à Jean Personne, à Jan Pessoa

Dans le Nordeste, à cent km au sud de Recife,

Saluer ton père qui vit pauvrement dans un deux pièces

Et peint ? Là où le soleil se lève le plus à l'est.

 

Irai-je par les chemins poussièreux de Transylvanie

Roulant à 30 km/h, écoutant Bela Bartok

Dans ce nulle part qui est le coeur de l'Europe centrale,

Par les forêts ?

 

Irai-je dans le Nord-Est du Japon

Sur les traces de Bashô dans le Michinoku

Par l'étroit chemin du fond

Suivre le poème effacé

Dans la buée de mon souffle ?

 

 

Il pleut sur les Tligit

Il pleut sur les Haida

Il pleut sur les mâts totémiques

Une pluis sans fin

Il pleut sur les chapeaux en écorce de cèdre

Il pleut sur les premières nations indiennes du nord-ouest

 

Les montagnes apparaissent sur Nord Vancouver

Fantomatiques dans des fumées grises

Le monde semble abandonné

Moi-même suis-je abandonné ?

En route pour Prince Ruppert,

En route pour Haida Gwaii,

Dix-sept heures sur le pont à guetter les baleines, les Killer Whales -

les orques

Je veux voir les mâts se dresser, surgir

Dans la baie au milieu des sapins pointus à Old Masset,

Ou sur l'île Cormorant

 

*

 

S'élancer vers le ciel comme des colonnes infinies

Parmi les thuyas géants, les Stirka, les pruches de l'ouest

Les mâts totémiques haida surgir dans la baie

Car je suis abandonné, désemparé

Comme le grand chef kwakiutl

De la maison du corbeau

Revêtu de ses habits en écorce de cèdre,

Le chasseur de baleines d'Ozette

Aux harpons acérés 

 

 Jean-Claude Caër

 

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Publié dans Les marcheurs de rêve

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