Joël Bastard

Publié le par la freniere

Joël Bastard est né en 1955 à Versailles. Poète, romancier et auteur dramatique, il réalise aussi de nombreux livres d'artiste avec Patrick Devreux, Joël Leick, Evelyn Gerbaud, Tony Soulié, Ricardo Mosner, Jean Anguera, Jean-Luc Parant, Jane Le Besque, Georges Badin, Koschmider, Alexandre Hollan, Marie L., Patricia Erbelding, Bernard Quesniaux, Christian Jaccard, Michel Julliard, Jephan de Villiers, Claude Viallat, Mylène Besson, CharlElie Couture... Il collabore avec des musiciens comme Érik Truffaz, Malcolm Braff, Christine Python…Il écrit depuis l’adolescence et après avoir exercé parallèlement de nombreux métiers comme facteur, quincaillier, peintre en bâtiment, camionneur, manœuvre, galeriste, ouvrier bijoutier… en 2000, il décide de se consacrer à plein temps à l’écriture. Il participe régulièrement à des lectures publiques et anime aussi des ateliers d’écriture : poésie et théâtre. Quand il ne voyage pas, il vit dans une ferme isolée des Monts Jura.

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Bibliographie 

Aux Éditions Gallimard

Beule, 2000
Se dessine déjà, 2002
Le sentiment du lièvre, 2005
Casaluna, 2007
Manière, 2009 ( roman )

Chez d'autres Editeurs

Bakofè, Al Manar, 2009
Bâton rouge, avec Tony Soulié, Virgile, 2010
Derrière le fleuve, Al Manar, 2010
Théâtre Blitz, Passage d'Encres, 2011
Sans revenir, avec Georges Badin, AEncrages, 2011
Sur cet air gracieux et léger, Cénomane, 2012
Ce soir Neil Armstrong marchera sur la lune, avec Patrick Devreux, Esperluète 2013
Journal foulé aux pieds, Isolato 2013
La clameur des lucioles, avec CharlElie Couture, Virgile 2013
Entre deux livres, Folle Avoine 2013

 

*

Les campagnes contiennent en leurs lumières pauvres des mots plus doux qu’une caresse. Aussi des hurlements de détresse adressés à personne. Reviendra t-il cette nuit hurler sous ma fenêtre, l’homme jaloux et ravagé d’imaginer sa femme écartée sous un autre. Les campagnes contiennent en leurs lumières pauvres des enfants nus qui bégayent devant un père qui passe, d’une pièce à l’autre, en guettant une proie sur laquelle fondre en larmes. Les campagnes contiennent des mains cassées aux doigts perdus dans les copeaux. Des jambes floues. Des outils posés contre les murs du nord. Des tiroirs trop grands et qui coincent, dans lesquels des espérances sèchent sans bruit. Parfois un craquement fait sursauter le chat que l’on calme d’une main douce. Les campagnes nous contiennent, à la vie, à la mort. Le ciel aura beau faire pour nous sortir de là avec ses fantaisies colorées, ses lumineuses trouvailles. Ses portes secrètes au couchant. Rien n’y fera. Nous resterons en nos murs emmiellés de crépuscule et, fermant la porte derrière nous à l’infini, nous donnerons notre cœur à ceux qui demeurent là. A l’intérieur de l’antre noir.

 

*

Je vais sortir. Je dois sortir. Marcher dans les rues, écouter la ville. Voir le pas des maisons. Voir les habitants entrer dans ces maisons et en sortir. Plus que tout, je dois aller voir le fleuve, le chemin qui marche, le Magtogoek des amérindiens, le fleuve aux grandes eaux. Le Saint Laurent. Mais peut-être ne sera-t-il plus là. Peut-être que le fleuve aura disparu au fond de la nuit dans le cerveau d’un  homme qui le rêvait. Peut-être que le fleuve et tous ses transports de pommes douces, de sel et de farine, coule pour toujours dans le crâne d’un inconnu disparu en forêt. Peut-être que le fleuve que nous voyons là est une illusion, le reflet de la pensée d’un homme étendu sous les branches et que le chemin qui marche le protège maintenant de son absence.

 

 Au soleil, le dos contre un mur blanc, en plein vent rue du port. Les yeux dans les reflets noirs d’un pick-up, j’écoute la carlingue refroidir en cliquetis venus d’ailleurs. Des drapeaux claquent sur le dos des motards visant l’extérieur de la ville. On se dit, pas étonnant que la poésie Beat ait battu le pavé des villes nord-américaines. On se dit, pas étonnant que l’amour devait se trouver dans une chambre de motel à l’autre bout du pays. Nous le traverserons en trois poèmes. On se dit, je veux être gardien de parking et boire des bières au bord du fleuve en compagnie de Kérouac. On se dit qu’il est trop tard pour cela mais que l’histoire est toujours bonne à prendre et que l’essentiel est toujours ailleurs.

 

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On le sait, je m’attache au clou rouillé, il attire toute ma compassion. C’est un ami que je ne laisserai jamais tomber. Il y a la ficelle, la pince à linge en bois aux attaches rouillées elles aussi, et d’autres petits objets sans importance souvent par terre. Enfin, je m’attache à l’usure, je l’ai assez écrit. Mais depuis peu, je ne m’attache à rien. Tout ce que je suis s’épanouit là. Aussi dans ce rien s’épanouit ce que je suis. Ce n’est pas de l’écrire que je sauverai quoi que ce soit du désastre.

 

*

Les campagnes contiennent en leurs lumières pauvres des mots plus doux qu’une caresse. Aussi des hurlements de détresse adressés à personne. Reviendra t-il cette nuit hurler sous ma fenêtre, l’homme jaloux et ravagé d’imaginer sa femme écartée sous un autre. Les campagnes contiennent en leurs lumières pauvres des enfants nus qui bégayent devant un père qui passe, d’une pièce à l’autre, en guettant une proie sur laquelle fondre en larmes. Les campagnes contiennent des mains cassées aux doigts perdus dans les copeaux... Les campagnes nous contiennent, à la vie, à la mort. Le ciel aura beau faire pour nous sortir de là avec ses fantaisies colorées, ses lumineuses trouvailles. Ses portes secrètes au couchant. Rien n’y fera. Nous resterons en nos murs emmiellés de crépuscule et, fermant la porte derrière nous à l’infini, nous donnerons notre cœur à ceux qui demeurent là. À l’intérieur de l’antre noir.

 

*

 

Il nous faut construire des jardins pour convaincre les guerriers de déposer les armes au sol. Les roses et les glycines ne craignent pas la naïveté.

 

Donne-moi un baiser. Tu sais combien j’aime ta langue. La souplesse des mots que tu ne diras pas. Leur fraîcheur tournoyante, la douceur de leurs dents. Donne-moi un baiser que nous puissions en un flot de salive échanger nos silences, les yeux fermés.

 

Du côté de la mélancolie un homme et une femme ont ouvert le coffre de l’enfance, depuis ils se regardent à travers un nuage de fumée.

 

 

Joël Bastard

 

 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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