Paul Mari 2
Cher Jean-Marc,
Publier des poètes tourne parfois au cauchemar tant l'impression de favoriser un auteur au dépend de tous ceux qui mériteraient d'être publiés domine. Les coups de coeur ne servent en rien à justifier nos cas de conscience, puisque l'oeuvre finit par devenir plus importante que tels ou tels poèmes isolés. Je reste attentif à ton site depuis que j'en ai pris connaissance parce que tu te tiens à la pointe de ce que la poésie projette de pensées et d'images turbulentes dans nos sociétés assoupies par d'immondes facilités de croire ou de juger. Tu prends le pouls, pour ainsi dire, du milieu ambiant où des poètes se fondent dans l'éclatement des luttes. Tes textes, remous puissants de poèmes dans un océan épais en pleine fermentation, ouvrent des regards inconditionnés, aptes à des métamorphoses enivrantes chargées de traditions éperdues. Le coeur sur la main, comme disait Robert Desnos. Comme toi sans doute, je reçois des poèmes ou des recueils de partout. Bons ou mauvais, ceci est une autre histoire. Je les lis et rares sont ceux que je publie parce que je ne me considère pas comme un éditeur, et aussi ce qui me cloue sur le "contre-ciel" de la poésie n'arrive qu'exceptionnellement. Autant un poème peut être instantané autant l'oeuvre dévore l'éternité d'une existence. Et c'est là que je voulais en venir, pour te remercier d'avoir "sélectionné" (quel vilain mot !) Paul Mari qui a derrière lui une vie tragique de poésie, toute d'errance et de refus. Durant plus de trente années, il a fait semblant d'être un autre, homme parmi les hommes, pour conjurer le temps de l'écriture, pour se prouver, peut-être, qu'il pouvait oublier d'être différent du troupeau nourri au salaire de la peur et mangé à la sauce Sisyphe. Je l'ai rencontré en 2004, dans un bar à poèmes que je fréquentais. Sans aucun doute, je sus immédiatement que les poèmes qu'il disait (généralement deux au cours de la soirée) possédaient une texture chargée d'expérience et d'échappée visionnaire qui ne s'entendent que très rarement. J'ai été me présenter à lui et depuis nous sommes restés très proche. Nous nous sommes racontés intimement, nous nous sommes aussi parfois querellés. Il y avait en lui quelque chose de légendaire. Il avait été encouragé dès son plus jeune âge par Seghers, Oswald, Bachelard, Jean Malrieu.... Il n'en tirait aucune fierté. Il était le dernier dépositaire et témoin d'une culture locale exceptionnelle ( Coarraze dans les Alpes-Maritimes ). Il incarnait la poésie dans ce qu'elle a de plus humain, qualités et défauts confondus. A l'époque, il était encore très valide pour son âge. Aujourd'hui, il vit au ralenti après plusieurs séjours à l'hôpital et dans des maisons de repos. Cependant, il résiste et vit seul dans son petit appartement à Nice. Je vais souvent le prendre chez lui pour que nous passions une soirée dans le bar à poèmes (chez Manu, rue d'Angleterre à Nice). Je le surnomme "trompe-la mort", parce que chaque fois que tout semble sans plus aucun espoir, il renaît avec un teint de jeune fille, le capeu (chapeau en nissard) noir de son grand-père bien vissé sur le crâne. Voilà, c'était ma façon de te remercier en son nom.
Très amicalement,
Je dis
Jeudi hier
Je ne dis rien d'autre
La rivière est grosse
Il n'y a plus de passeur
Des arbres, le vent emporte l'ombre
Qui s'agrandit
Fantômes froids, mes amours mortes
Je dis
Jeudi hier
Je ne dis rien d'autre
À l'aire des aubépines
Mort Schuman chante Tango Charlie
Sur l'horloge qui tremble
S'inscrivent inlassablement les chimères
Dont rêvent ceux qui passent
Je dis
Jeudi hier
Je ne dis rien d'autre
L'éternité suffit, rien n'est à déranger
*
J'aime les temps gris
Ces regards qui cachent des solitudes aveugles
La face mauve des ombres
La tristesse des génuflexions
Ce qui ne va nulle part
Ce qui est incertain
J'aime ceux qui ne s'entendent pas
Avec les jours qui passent
Ceux qui écoutent l'orgue de barbarie
Après l'averse
Avec des chapeaux de paille et des roses en papier
J'aime les inconnues
Aux yeux bleu outremer
Aux démarches fatales
Qui, jamais, ne savent si leur soleil*est le bon
J'aime vivre à pas lents
De phrases indistinctes, l'arithmétique des à-peu-près
Sous l'abat-jour des mots, j'aime
Voir se perdre la nuit
Dans le désert infini d'une page