Que du stage

Publié le par la freniere

Sur le papier glacé et les écrans publicitaires, tout le monde est jeune et hygiénique, le sourire cool, le regard froid. Le vide autour de nous se remplit d’objets. Un encombrant déchet a pris toute la place, le cul, l’argent, le show. Des bébelles, des images, des mirages ont remplacé la main et la tendresse du jeu. La haine se consomme comme le reste qui n’est plus que nos restes. Les mains ligotés aux outils technologiques, nous produisons du vide sans distinguer les bons fruits des mauvais. On enterre le sacré sous les coquilles vides. Il n’y a plus de frères. Il n’y a plus que des rivaux agglutinés au tourniquet du paraître. Ils trahissent leur misère en endossant la mode. Ils négocient la honte sur des machines à sous. L’insignifiance a pris le stage d’assaut. Les follow spots n’éclairent plus qu’un manque. Il est temps que la colère des arbres ronge la paperasse et les bilans comptables. De quel sol germera l’onctueuse tendresse ? Aimanté par la rumeur des racines, je me tiens à l’affût. Je guette l’impossible émergeant du chaos. Je recueille les signes. Je suis l’oiseau qui chante en retrouvant la source, le pinson qui persiste au milieu des klaxons.

 

Ce qu’on appelle «croissance économique» n’est qu’un miroir aux alouettes. Les banquiers s’y mirent comme des paons ridicules. À bricoler des ruines, on ne sait plus bâtir à l’équerre du cœur. Les cloisons du décor empiètent sur le sens, les micros sur le chant, la surenchère sur la chair. Le corps n’est plus qu’un vêtement qu’on rafistole à coups de chirurgie. Nous tombons en morceaux l’un sans l’autre. La crête du vivant frissonne quelque part en fragments épars. Les chiens se mordent la queue et courent plus vite que leurs cris. À bûcher pour du papier, les bûcherons meurent de froid. La révolte se relève malgré tout, malgré les chars d’assaut et la fascination du fric, les mensonges et les cotes d’écoute, les camisoles de force, la peur et l’amnésie. Ils ont tout prévu, sauf la maille par où passent le rêve et la mémoire des ancêtres.

 

Je retourne dans les bois, creusés d’âge et de mousse. Je préfère être pauvre à mon compte que riche aux dépens des autres, ceux qui se graissent la patte et se remplissent la panse en détruisant la vie. J’ai tout appris par la force des choses. J’ai tout appris du feu, du verger, du lichen. Selon le cours du papier, même les bûcherons finissent par mourir de froid. Par le cantouque et la chouenne, des racines à la cime, je remonte la sève jusqu’à la tête des eaux. Que pourraient le bouleau sans le cèdre, l’érable sans le pin, le rhume des oiseaux sans la gomme d’épinette ? Je dirai donc la sève, l’humus et la colère des forêts, les cétacés enfouis sous la mémoire des glaces, le pollen courbé sur l’épaule du vent. Je lirai dans l’écorce ce que l’encre a tué.

 

La neige, en hiver, quand elle tombe en dansant, remplace les oiseaux. Je préfère le feu à la fumée, la parole au micro, l’écorce du bouleau à la nappe en papier, la barbe au prophète, le poète au notaire, celui qui rêve quand il neige, celui qui dort quand il vente, celui qui sort quand il pleut. On ne demande pas aux chercheurs d’or de sauver un oiseau, on le demande aux enfants. Je suis l’oiseau sans ailes qui vole dans son chant, l’arbre sans feuilles que réchauffe la sève. La neige ne va pas sans ombre ni la pluie sans soleil. En caressant du pied la bavette du poêle, je me réclame du froid, de l’espace et du vent. Je me réclame du pollen survivant au grésil, de la bannique et du portage. Je me réclame du capelan, du chevreuil, du lagopède rutilant. Mon cœur est une bête à portée de fusil.

 

Jean-Marc La Frenière

 

 

 

 

 

Publié dans Prose

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