Le voyage immobile 3

Publié le par la freniere


J’entends le cri du monde
dans les racines en fleurs,
les montagnes qui chavirent,
les îles qui louvoient
pour caresser la mer,
la boue qui sommeille
à mille pieds sous terre.
Quand la fourmi s’accouple
au silence des pierres
et les nids des oiseaux
aux bras muets des arbres
j’entends jusqu’aux étoiles
le ventre lourd du temps
éclater de soleil,
de sève et d’espérance.
 
J’entends même les ombres
faire craquer leurs jointures
comme des bras de pluie,
le croisement des phares
en marge du sommeil,
la cendre qui se cache
sous l’apparence des choses,
le miel qui se repose
dans le cœur d’une rose
en attendant l’abeille,
l’âme tissée de sang,
de soie et de sueurs,
le sable de la vie
éclairé de vin rouge.
Dans chaque grain de sable
une vague s’invente.
Chaque objet, chaque mot,
chaque geste nous changent.
 
Qu’importe le silence
qu’on impose à la peau
avec leurs doigts signés
par une griffe de chat,
leur fardeau de fourmi
qui creuse le limon,
leurs lignes emmêlées
aux vagues du hasard,
leurs grands gestes fous
qui parlent aux nuages,
les vieilles mains usées
cherchent encore à la fin
le même jouet perdu.
Je n’appartiens à personne
sinon quelques oiseaux,
quelques fleurs, quelques pierres
qui demandent à partir.
J’appartiens à la mort,
la révolte et l’amour.
J’écris avec mon sang
comme on crache dans l’eau
pour se sentir en vie.
 
J’appartiens à la vie,
à la colère, aux fous.
J’ai la gueule d’un volcan,
les grands bras d’un érable.
J’habite encore la nuit
le ventre de ma mère
et le chant des Indiens
qui nous manque aujourd’hui.
 
J’appartiens à mon loup,
à l’enfance, à l’enfer,
à l’espérance peut-être.
Je marche vers chacun
sans retenir la route
et saigne à la mémoire
d’une blessure commune.
Je n’écris que la nuit
comme on gueule en naissant
pour se sentir moins seul.
 
Je n’appartiens à rien
qui se chiffre en dollars,
en diplôme, en silence.
Je traverse la vie
sur un tapis volant,
le cœur en bandoulière
et les deux mains offertes.
Je ne veux qu’être un homme,
un Noir parmi les Noirs,
un pauvre parmi les pauvres,
un poète pieds nus
pissant sur les statues
comme un chien sans médaille.
 
Je cherche la parole
entre deux cris d’oiseaux,
un fardeau plus léger
que le poids du malheur,
quelques miettes de bonheur
sur la nappe du temps.
Je veux avant de mourir
presser la terre entière
comme on serre une femme
les bras chargés d’amour.




Publié dans Poésie

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M
Hors des sentiers battus d'avance évolue mon ami le poète. Fou et furieux devant l'absurdité consommée. Éblouit par la beauté sauvage qui portent nos pas lourds.<br /> Vivement, ses écrits nous permettent de nous évader quelques minutes, tous les jours, loin de nos chaînes .<br />