Dans la faim

Publié le par la freniere

La vie se mord elle-même pour ne pas mourir de faim. La pluie laisse des cicatrices sur la peau de la terre, des rigoles têtues. Nous avançons sur une immense vague que nous ne voyons pas. Seul notre va-et-vient laisse deviner la rive. Les feuilles ne savent pas où l’arbre cache ses racines. Elles s’abandonnent aux branches. Tous les arbres s’entraident. Chez les bêtes, les chasseurs et la proie s’accouplent dans la faim. La chrysalide prie dans son église minuscule. Sur un autel à ciel ouvert, les plantes communient à la prière des étoiles. Les fourmis creusent dans la terre des rhizomes d’espoir. Un musc végétal embaume l’air ambiant. La vie respire sous le chaume. C’est la même chaleur qui étourdit les fleurs.

Le temps relève sa jupe avec ses mains de vieille, dévoilant au regard des cuisses de naïade. Un arc-en-ciel enjambe une flaque d’oiseaux. La pluie court dans les champs, avec ses mains fraîches, son collier d’anecdotes. Mes pas n’occupent plus l’espace de mes pieds, ils s’éparpillent dans les mots. Le fleuve tient ses mains ouvertes. La terre nous offre des bouquets d’herbe. Le temps colore les yeux des hommes. La tendresse des fleurs m’enseigne la prière. La force des cigales diminue mon orgueil. J’allume toujours un feu à l’intention des morts. Je laisse sur la table un pichet d’espérance.

Quelques mots rampent sur ma peau. Ils ne veulent pas parler mais entrer par l’oreille, rejoindre l’œil et toucher les images. Les pattes d’oiseau du rêve laissent leurs traces dans la tête, l’idée du nid où le temps perd ses plumes, le mot œuf qui éclot dans un jargon de paille, le mot voler avec son l unique. Il n’y a pas de berger pour le troupeau des arbres. Ils broutent et boivent par les racines. Le plus petit bouleau donne sa chair à manger. Lorsque le temps est lourd, il faut bien qu’un oiseau fasse le contrepoids. Les flammes sautent tête baissée d’une brindille à l’autre. La sève monte dans les arbres. Le ciel descend jusqu’aux trous d’eau. Le bruit du vent couvre ses mots. On n’entend que son souffle. Lorsque le temps est sourd, il faut bien qu’une image remplace la musique.

Publié dans Prose

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