Comme une toupie

Publié le par la freniere


Un pied dans la tombe, certes, mais l'autre dans les plats, sur la route ou le roc. La mémoire tôt ou tard finit par nous rejoindre. Ce qu'on veut oublier embrume le présent. Le poids des choses varie selon l'angle du cœur. Un pont d'or ne vaut rien pour traverser la mort. Les poils d'un pubis soulèvent des montagnes aux doigts d'un amoureux. Le poids des mots varie selon le sens des phrases et le sang des blessures selon le poids des balles. Reste-t-il quelques chercheurs d'amour parmi les chercheurs d'or, un redresseur de torts chez les dresseurs de choses, quelques orties rebelles sur les pelouses de pilou, un dernier loup sauvage parmi les chiens de faïence ? Le mot soleil, le mot lune sont ronds comme des billes et des bêtes à bon dieu. Ils roulent sur du papier. J'en joue comme un enfant sur le damier des pages. Les petites bêtes courent entre les points virgule, deux pelés, trois tondus, des voyelles sans robe et des consonnes de bois. Le texte tourne sur la pointe d'un crayon comme une toupie folle. Les cris d'oiseaux sont comme la lumière. Ils éclairent le vestibule des oreilles. Je ne fais pas le marché les jours de quolibets, j'attends celui des fleurs, des pommes et des mercis. Je m'étonnerai toujours d'avoir dix doigts, deux mains, des ongles et des cheveux. La vie est ainsi faite que les chevaux sont beaux et les fraises goûteuses.


Je garde dans mes yeux un peu de neige pour l'été. Tirer la vie de presque rien vaut toujours mieux que de tirer du gun. Les p'tits bateaux qui vont sur l'eau ont les jambes qu'ils peuvent. Quand je bine mon jardin en lettres d'alphabet, je mets les fleurs chez les voyelles et les légumes aux quatre vents. Je ne fais pas le ménage sans balai de sorcière. La grammaire aux aguets, j'écoute monter les arbres et les feuilles tomber, la musique des sphères dans un bourdon d'oreille. Un texte sans coquille est comme un escargot qui a perdu la sienne. À la chasse au passé, la nuit des temps saisit l'occasion par la taille. Les vols des outardes, on les entend d'abord. Le grand V de leurs ailes est une clef des champs. Il n'y a pas que Juliette et Roméo, l'eau et le feu aussi sont amoureux, la nuit, le jour, le soleil et la neige. Malgré tout, les pas dessinent sur la route le visage de l'espoir.


Je n'aime pas les heures plates, les heures piles, de face ni de profil. J'aime les heures à voiles qui naviguent à l'envers. J'aime les heures à graines et leurs kilos de secondes qui fleurissent à l'année. Je ne veux pas d'un cœur sur la main, je le veux simplement au chaud dans sa cabane. Il fait trop froid ici pour un cœur qui se glace. Il fait trop noir ici. Il faut une main libre pour trouver la lumière. J'écris trop je le sais. Il faut sans cesse du feu, de l'encre, du papier, des morceaux d'as de trèfle, de gros ballots d'images, de la paille à voyelles, une armoire aux épices. Les mots baillent et se mangent entre eux. Si tout le monde ferme sa gueule, que diront les oiseaux, que parleront les choses, qui dira l'espérance ? Je ne vois plus passer les jours. D'ailleurs qui nous dit que le temps passe tous les jours. À force de tourner en rond, il doit bien faire une pause et prendre du bon temps.


Je voyage tous les jours sur un tapis volant, sur des bottes de sept lieues, je parle avec Alice, j'embrasse Iphigénie, je répare la queue du vieux cheval de Troie, j'éclate de rire dans le château Chagrin, j'assaisonne sans cesse le dindon de la farce, j'épouse la grammaire et j'ai beaucoup d'enfants mais ne le dit jamais. On me prendrait pour qui. Le vide n'est pas le vide. Il est plein d'inconnu. Je n'écris pas sans risque. Peu importe où je suis, je reste dans mes phrases condamné à me lire.


Publié dans Prose

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