Avec la pelle d'un poème

Publié le par la freniere


Toute la terre est ma mère. Les arbres se chatouillent comme les doigts d'un enfant. Les pétales en dents de scie découpent les parfums dans le papier de l'air. Le vent s'éclaire en mangeant des lucioles. Enjambant le cadavre du siècle, je mène paître un troupeau de voyelles dans un champ d'encres folles. Je laisse marcher les a comme des boiteux, le chapeau d'un accent de guingois sur le crâne, les o rouler comme des ballons, les i dresser le poing au-dessus des épaules, les l faire le jars devant les apostrophes. Avec la pelle d'un poème, je creuse un trou pour les orages, un sillon de questions au bord des apparences. J'avance avec des pas cordés comme des doigts de pied. Vite fait. Bien fait. Je laisse des empreintes au chevalet du temps. Je grappille des phrases dans une boite de mots. Quelques-uns tombent sur le linoléum et leurs patins magiques dessinent l'infini, le frou-frou d'un fou rire, la danse de Saint-Guy. Dans un petit panier, j'apprends à dessiner un champ de marguerites, un estuaire, un golfe, un motel de nuages ouvert toute la nuit. Le vent s'enfuit, la queue entre les jambes, soulevant des ripailles de papier et des rubans de rêve. J'ouvre la porte du dictionnaire avec la clef des champs. Le paysage tressaille entre les mots. Dans la saleté du charbon se forme un diamant.

Les mains dans les poches, les semelles trouées, les orteils qui dépassent, les yeux en face des trous, le foin entre les dents, le cœur en bandoulière face à l'éventuel, je marche par devers l'inconnu. Je bois jusqu'à plus outre l'exubérance des eaux vives. Défiant l'aiguille des compas, je déchiffre le ciel dans la mémoire des oiseaux. La table est mise pour le rêve. Le soleil est un morceau de sucre dans le café du jour. Sur le plancher des vaches, toutes les fleurs ont mis leurs souliers de ballet. Elles dansent avec le vent et les toupies de foin. Les vergers jouent aux cartes avec l'atout des fruits. Sur la terre des mains, je prends tous les sentiers des doigts. Je ne m'attarde pas à la frontière d'un poing. Chaque geste est un pas, chaque caresse un pont. Je marche à la lumière à la vitesse de l'obscurité. J'avance à l'estuaire à la cadence des vagues. Syllabe après syllabe, j'agrandis l'horizon. La gravité perd son centre et la nuit file à toute étoile. Il y a un livre sur la table. Une lumière en émane. Ses pages sentent le pain. En réponse aux bontés de la terre, l'homme n'aurait-il que le don de parler ? Même si aucun mot ne fait le poids devant l'insondable silence de la pierre, je continue d'écrire. Je cherche cette partie de l'âme qui nous absout du reste.

Publié dans Prose

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