Sans cesse

Publié le par la freniere


S’il faut aller partout où l’on n’est pas à l’aise, il faut en revenir, non pas compétitifs, mais meilleurs, dans le sens de la bonté. Il faut prêter l’oreille aux murmures du vent avant qu’il ne devienne une machine à sous. J’ai cessé de courir après le temps. Je regarde l’espace. Les arbres sont des horloges lentes. Quand je lis, les mots me restent sur la peau, d’autres sur l’estomac. Ceux qui passent de bouche en bouche s’usent plus vite. Je me suis fait intime avec les pierres. J’ai l’amitié muette, les syllabes chuintantes, les yeux de mon grand-père. Je n’écris pas le temps mais je goûte ses pommes. On ne finit jamais un livre. Il nous recommence sans cesse.

        

J’échafaude des échelles sans appui autre qu’elles-mêmes, des escaliers sans bas ni haut, des pas sans route que le plaisir du pied. Le ciel est si lourd que les arbres se paient des bras surnuméraires. Chaque page est un pied. Il change d’appui à chaque mot. Je ne sais plus mon nom. Il y a trop de personnages enfermés dans ma tête. L’anecdote prend le pas sur la vie. Labourées par le commerce, les banques font germer la mort. Les cerveaux électroniques font un bruit de vaisselle dans le vortex du néant. La vie en dents de scie ampute la mémoire. All is for sale. Tout est sale, même le propre. Tout est sali par le commerce.


On refusera bientôt la rosée du matin au moindre vagabond, le ciel aux cerfs-volants et la neige aux enfants. À quoi bon replier son cœur devant l’impardonnable ? Je préfère le silence des fleurs, le bec appétent des abeilles, les phrases accalminées sur des esquifs de fortune, les mots acaules qui se retiennent à l’air, les bocages à refrain où chantent les cigales. Même si je n’ai pas vu Dieu, et si peu de bonté, j’aurai  connu la route,  la besace et l’amour. J’ai beau vivre isolé, je me trouve en chaque homme et me cherche en moi-même en expiant chacun. Ce qui n’a pas de racines finira par pourrir. Je transporte les miennes au milieu de mes mots.


Le temps coud et découd l’eau noire des marais. Les feuilles soulevées par le vent, la neige qui s’amoncelle, l’air composé de milliers de souffles, même le foin coupé, nous parlent , mais l’homme s’obstine à ne pas les entendre. Il fait claquer ses bottes et se ferme le cœur. La pluie est une cathédrale où chaque goutte prie. Le chant des oiseaux met tout l’air en émoi. J’écoute l’infini dans la mémoire sonore des grillons. Parfois, à défaut de mots, il me pousse des branches et j’échange des bruits avec les autres arbres. Il m’arrive de voler ou de marcher sous l’eau, de tomber comme une goutte au milieu d’autres gouttes. On ne remet jamais l’amour au lendemain sans risquer de le perdre. Quand la beauté se donne, il ne faut pas lui demander de faire le trottoir.

 


Publié dans Prose

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Également. ♣
I
Que dire Jean-Marc devant tant de beauté ?! Bonheur de lire au matin une telle force et présence d'écriture et de pensée. Tes mots réparent et respirent large, puissent-ils emmener toi et chacun vers le travail à accomplir sur terre afin qu'elle devienne davantage habitable. Merci de donner à lire.
S
" la pluie est une cathédrale ou chaque goutte prie "..et chante.....puissions nous vous lire sans cesse Jean- Marc