Avec la sève (extrait)

Publié le par la freniere

à Michel Langlois

 

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Certains écrivent avec des larmes. D’autres le font avec du sang. J’écris avec la sève d’un crayon à la mine renfrognée. Je nomme le minime, le petit soleil magique d’une abeille butinant son butin, les ailes frêles d’un insecte, le poil dans la main, les cicatrices d’un érable. Je reçois dans mes mots ce que l’été me donne. Le soleil fait la noce avec des filles d’ombre. Le tarmac des arbres lance des ponts d’oiseaux. Un petit peu de nous, un petit peu de vous, un petit peu de lui accélère le pas. Les rêves aux dents longues déchiquètent la nuit. Tant de macules humaines font l’embonpoint des phrases. La rivière dessine un terrible sourire, terriblement beau. Il me faudrait le dessiner, l’imprimer sur le ciel, son papier peint de nuages et d’étoiles. Des rochers, une chute, des rochers, une chute, des brouillons, des bouillons, de petites vagues folles, une mince ligne verte perdue et reperdue parmi les rocs aux reins cassés. Des fragments d’eau claire se mêlent aux cailloux. Le réel existe quand on peut le rêver.

 

J’écris avec mes poings sur la poitrine du jour. Chaque phrase est une ligne sortant des mains. Un chêne me surveille de haut avec sa tête qui se dénude de ses feuilles attendries. Elles rejoignent le sol, l’humus, les vers, l’univers. Même le vol des mouches a quelque chose de beau. On ne sait jamais où elles poseront leur virgule rebelle. J’habille de paroles la face mauve des ombres. Je cherche l’impossible, la clef des champs cachée dans une meule de foin, la mort qu’il faut nié, un sentier oublié dans l’envers du décor, le mouton noir dans le troupeau des évidences, le chétif qui s’agrippe, les chevaux absents d’une carriole folle, le chant des hommes muselé par les ondes, l’encre perdue dans les pages vides, l’enfant seul dans une gare et cherchant sa valise, les mots qu’on porte de main en main, l’espoir qu’on croise de moins en moins, ce vieux rêve têtu tenant l’arbre debout. Je signe des deux mains un bail de tendresse. J’habite depuis longtemps dans mon cœur d’enfant.

 

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Publié dans Prose

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