Ce qui manque à la vie

Publié le par la freniere

Je sors prendre l’air et me rebranche sur la vie à en crever d’amour, les poumons pleins de soleil, les nerfs au garde-à-vous, les yeux dépareillés, un peu moins emmerdeur, un peu plus souriant. Je m’allonge dans l’herbe pour rêver à ma blonde, à mes enfants là-bas qui préfèrent la ville aux petites fleurs des champs. Je n’ai plus peur d’écrire en prose de travers ou en rimes faciles, le ventre ouvert, le cœur à nu. Nous sommes tous inachevés. Les arbres parlent à voix basse comme de sombres comploteurs. J’écris n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment. Au milieu de la page, le cercle tend ses bras, les angles font le dos rond, la prose fait la pause et dessine un poème à l’intérieur du corps. Sur un chemin rempli d’épines, je roule en métaphore jusqu’au rond-point du sens. Je jette aux quatre vents ma vie, mes colères, mes riens. Je les épingle sur la carte pour en faire un pays. Être vivant se dit en gestes et en paroles.

 

Il reste un peu de paradis, la vie, l’amour et Jean-Sébastien Bach, un peu d’énigme aussi, la mort, le rêve et le silence. De sémaphores en métaphores, les bras de l’âme nous font signe. Des trous recueille la lumière sous les ténèbres de la peau, l’air, la musique, les mots. J’ai le vertige d’être en vie et m’agrippe à la glotte. Ce que le monde casse et renie, je le recycle dans les mots. Ça ne sent pas toujours bon dans les marges du texte. Les fleurs de rhétorique n’embaument qu’à moitié. J’ai besoin de lilas, de safran, de cerfeuil, de vieux mots éculés, d’imagerie ancienne et de couleur locale parmi les bruits de l’homme. J’ai besoin de rondeur dans les colonnes de chiffres. Entre les trous de mémoire et les toux de poitrine, les mots tiennent leur bout et tiennent tête aux maux. Je marche sans arrêt pendant qu’on peut encore traverser le monde sur deux pieds. J’étais comme une lettre au ventre de ma mère, et les pages perdues en dépliant l’enveloppe, je les cherche toujours. Ce qui manque à la vie est ce qui fait la vie.

        

J’ai ma vie sur ma langue. Je déplie les jours en quelques mots, l’été dans une phrase. Je mets l’hiver entre parenthèses. Avant que je rencontre un loup, je me croyais intelligent. Les hommes et la nature ont les mêmes racines. L’amour, la bonté, le partage nous rendent plus vivants que les choses. Les ongles de l’argent défigurent le sens. Il y a des morts à chaque fois que l’on vend, que l’on achète, que l’on spécule. Dans ce monde où même l’eau trahit la soif, ce monde qui m’effraie, de l’Orient miné à l’Occident minable, je cherche une autre voie que celle des marchands. On ne peut rien contre l’amour mais on peut tout pour lui : le racheter de l’injure, de l’hommerie, de la guerre. Ma tête éclate sur un cahier ouvert. J’en recouds les morceaux au fil de la parole. Une forêt prend naissance dans une faute d’orthographe. Un pays cherche à naître habité par les mots. Les trous d’ombre sécrètent des crêtes de lumière. Le feu de quelques lettres peut réchauffer le cœur. Le mot ne reste pas prisonnier de ses lettres. Il s’ouvre à la polysémie du sens. Le minéral se confond avec les neurones, la chair avec le végétal. Le pain survit depuis la faim du premier homme, l’appel de l’infini depuis le premier mort.

        

Dans la même phrase, un mot nous tue mais un autre nous sauve, une image nous efface, une autre nous dessine, une métaphore nous retient, une autre nous libère. Jamais un lampadaire ne remplacera l’étoile ni les billets de banque ne pousseront aux branches. Je préfère la rumeur du feutre au carton glacé, une tache d’encre sans papier, un mot mal assorti à la prose griffée, l’émotion du soleil au flash des néons. Plutôt la crève que l’absence de beauté, plutôt la fièvre que ce temps porté pâle, plutôt la presbytie que l’oeil privé de couleurs, une otite qu’un monde sans musique, une fanfare d’aubépines qu’un ciel de plastique, des yeux capables de faire pousser des larmes que des rires en conserve, une casserole pleine de faim qu’une soupe mal acquise, le frisson des traqués que le froid des monnaies. Peut-être qu’un jour ou l’autre, le soldat finira par fuir son fusil. Malgré Hiroshima, le brin d’herbe survit sous la cendre des choses. Posant le front d’une pelle contre la terre, je creuse une rigole d’encre. Des mots noirs apparaissent. Il ne suffit pas d’une échelle pour monter. Il y en a qui tombent à la première marche. Je ne sais pas quelle métaphore je cherche, quel silence je fuis. Je cherche les mots qui n’y sont pas, une parole blanche comme la canne d’un aveugle, une chaussure d’enfant sur le pied d’un vieillard, des mots comme des mains dans la promesse de vivre. Il faut apprendre à ressembler au vent, à la pluie, au soleil. La fleur qui joue avec son ombre me ramène à l’enfance. Je cache dans ma main une poignée de mots, une ligne de cœur à la croisée des routes.

Publié dans Prose

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