Dans la géométrie des choses

Publié le par la freniere

Il y a trois jours que la brume tient le lac en estime. Des nuages roses flottent sur l’eau comme une barbe à papa. Je vois à peine le soleil. Je m’éparpille. Je me perds. Je ne suis pas assez là. Mes enfants ont du souffrir de cette absence. Égaré dans les mots, je me suis émietté. Il faut de l’air entre les phrases, des bémols, des écarts où retrouver ses gestes. J’étends les bras pour savoir où aller. J’aime beaucoup fendre le bois. À chaque coup de hache, un nœud saute en moi et libère la sève de son écorce d’homme. Quand je passe à la ligne et relève mes yeux, mes regards se fondent dans la géométrie des choses, poursuivant dans l’air la phrase commencée. C’est la beauté qui nous pousse vers le haut, comme la sève sous l’écorce. Lorsque je parle aux arbres, ils se taisent. Ils écoutent le vent, le soleil, les étoiles, les moineaux qui se mettent à l’abri et jouent aux amoureux. Un jour, ils finiront par me répondre. Je suis têtu.

        

Quand la chanson du romarin parfume le jardin, je me poursuis dans l’écriture de la terre. Le cœur à tout, la tête à rien, je cours derrière les mots. D’une simple ficelle je lie le ciel avec la terre, le regard d’un chat avec un nid d’oiseau, la ligne d’horizon avec l’ombre d’un chêne. La colline a mis sa robe à fleurs pour aguicher l’abeille. La source chante entre les jambes d’un rocher. Je n’attends plus rien. Je sais que le soleil se lève. Attendre est un verbe de jeune. À soixante ans, la vie a remplacé l’espoir. Le lit du torrent se lit entre deux rives. Devant une eau si pure, la soif a revêtu son habit du dimanche. Le temps y a gravé des milliers d’inscriptions. J’essaie de déchiffrer un assemblage de galets, un bréviaire de roc, les idéogrammes de l’eau. Recroquevillé dans mon sac de vie, je veux me déplier, respirer plus large, regarder plus haut, aller plus loin que l’écorce des choses. La fatigue de la marche nous ouvre à l’infini. Ce qui importe n’est pas ce que l’on est mais ce qu’on pourrait être.

Publié dans Prose

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J
<br /> <br /> Alors là, oui ! * "c'est la beauté qui nous pousse vers le haut." C'est sensiblement ce qu'affirme François Cheng dans ses "Cinq méditations sur la beauté".J'aime beaucoup<br /> l'ensemble de ce texte.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> *(Parce que j'ai trouvé la première phrase de  "Les jeux de massacre" d'une platitude tout à fait inhabituelle sous ta plume et (du coup ?) le reste un peu fade.)<br /> <br /> <br /> <br />