Du Mercantour au Ventoux

Publié le par la freniere

 

 

À Émile Bellet

         Je n’aurais jamais cru que les olives faisaient de l’alpinisme. Les oliviers debout malgré leurs bras penchés se hissent planche par planche sur des murets de pierre et de lavande. On voit leur tête reverdir presqu’au sommet du Mercantour. Leurs vieux corps chenus offrent leurs fruits au soleil et au vent. Quand les épices se mêlent à la couleur de l’huile, toutes les saveurs éclatent. Que tant de richesse émane d’une terre si pauvre permet de croire à l’homme malgré tout. En parcourant les terres rouges, j’ai compris pourquoi la langue provençale est si riche. Les oliviers taiseux lui confient la parole. Le mot source féconde l’aridité des pages. Le mot bouche se prépare à goûter. Face au Ventoux, nos montagnes intérieures ont peine à faire le poids. Sur l’autoroute du corps, il faut faire le plein à la pompe des gestes. Le long des hanches montagneuses, le vent retrousse les jupes du calcaire. Il y a assez de craie pour saler toute la mer.

         Habitué à la candeur des Appalaches, les hauteurs de Nice m’impressionnent par leur sévérité. Les Alpes sont des hommes, les Appalaches de longues femmes lascives. Où nos montagnes offrent un dos rond parfait pour l’accolade, ici, ce sont des dents qui affrontent le ciel, des pics éventrant les nuages. Les douces pentes des Laurentides atténuent la rigueur du gel. Ici, la douceur du climat apprivoise la dureté du roc. L’accent chantant des Provençaux ressemble à leurs routes en lacet et leurs villages à des colimaçons. Je reviens vêtu d’argile et de lavande, avec des lignes de cœur plus vieilles que la vie, des mots gorgés d’huile d’olive et d’épices variées.

Plein de petites maisons montent au ciel par des routes en lacets. En Provence, minéral et végétal vivent de connivence, de Cros d’Utelle jusqu’à Saint-Paul-de-Vence. Entre le gouffre et la lumière, le soleil de l'Estaque a des reflets de pierre. Les montagnes se soulèvent comme des haltérophiles, dressant leurs pins comme des épis de ciel tétant la rosée des nuages. Une fraîcheur obscure alimente le poivre et sel des rochers. Dans les strates du roc, les crevasses du bois, le temps se fraie des passages invisibles.  Il pleut un peu, ce matin, comme un début de prière sur le sol assoiffé. Je regarde le vent qui ne s’agite pas. Il ne fait que dormir sans réveiller les feuilles. Sur les murets de pierre sèche, la vie s’accroche à la fraîcheur de l’aube.

Au pays des châteaux, les moellons se renfrognent sous le crépi trop neuf et les yeux des touristes. L’âme des bories échappe aux caméras. Elle veut garder secrète les origines de l’homme. La brume bleue de l’aube vient ressourcer la pierre, la lavande et le temps. Les oliviers sourient au lever du soleil. Dans le fouillis des arbres, il n’y a rien de trop. La sécheresse des tuiles n’empêche pas la vie. Quand l’eau reste cachée, les insectes la trouvent. La transparence de l’air vient colorer les vignes. Il ne faut pas se fier au premier coup d’œil. Chaque lumière est unique d’une montagne à l’autre. Quand on bouge les yeux, le paysage reste immobile. C’est quand on le fixe qu’il s’anime. Les nuages se mettent à écrire, les arbres à dessiner. Les oiseaux chantent plus fort. Les insectes s’agitent. Le mistral se lève comme une preuve par le vent.

Lorsque le cœur s’anime, le sang, la sève et l’encre trouvent chacun leurs veines. La peau du monde frissonne lorsque bougent les lèvres. Quand l’espace est trop vaste, je cherche le petit. La délicatesse de l’aubier donne au chêne sa force. Sur les plus vieux rochers, la dentelle des mousses survit aux millénaires. Mille insectes s’animent dans la barbe du thym. La forêt ouvre ses cages de bois d’où surgissent les buses. Agiles et empressées, elles balafrent le ciel. Étranger, je marche dans l’ailleurs qui est l’ici des autres. Je mêle mon odeur à celle des figuiers. Je voudrais d’autres mots, des voyelles plus douces, des phrases de sang froid dans les veines du lézard. La pierre chante sous le thym, le vent sur le tympan du jour. De plateau en plateau, les oliviers escaladent l'espoir. Entre deux coups de pinceau, un homme taille leurs branches, apportant du soleil sur la table et la toile.



Publié dans Prose

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