Hors d'ordre

Publié le par la freniere

 

 

Comment apprendre la paix aux enfants de la guerre ? Ils sont nés sous les bombes. Ils jouent avec des doigts coupés et des culasses de balles. Il n’y a plus d’eau claire dans un bol brillant mais du sang sur les murs, des mains déchiquetées, des cervelles en lambeaux. Dans l’œil des œillets se reflète la ruine. Chez les poètes, les mots sont hors d’ordre, les alouettes en colère et les morts indociles. On n’écrit pas sans mal avec un doigt sous le marteau, un genou déboité, un cœur déflaboxé. On ne parle pas sans peine avec les dents de sagesse en état de révolte. On avance vers où coincé entre deux portes, deux langues, deux pays ? On tourne en rond avec deux roues qui louchent. Il y a trop de pas coulés dans le béton, trop de trous dans les habits du sens, trop de portes fermées. Je n’ai plus de chemise, de chemin, de chaleur. Il fait froid dans ma tête. Il fait noir partout. Les grosses polices du malheur piétinent la tendresse. Le pain devient si triste habillé de plastique. On mange n’importe quoi, des semblants de fromages sur des bouts de cartron, des pesticides en canne, du cancer en sachet, des soupes à la mauviette, même des culottes aux fraises et des slips au ketchup. On va jusqu’à manger les serviettes en nylon. Tout se transforme en pire, les érables en papier, les animaux en peluche, les prières en fusils, les hommes en travailleurs.

 

Un milliard de dieux, tous armés d’un fusil. Un milliard de morts, la plupart innocents. Pas le droit de rêver ! Pas le droit de penser ! À peine le droit vivre ! Quand on répare les pauvres, c’est qu’on a besoin d’eux pour un travail de merde. Comment dire tout va bien quand le pire s’en vient. J’ai des amis aux enfers où la mort se promène à vélo. La vie est un rosier couvert d’épines. Les arbres en grandissant se composent une grammaire. Les oiseaux viennent y lire sur la paume des branches. Enfant, j’ai plus appris sur la fourche d’un arbre que sur un banc d’école. J’étudiais les fourmis, les pommes, les nuages. Je dessinais des lettres, des ailes, des samares. J’écrivais tous les mots jusqu’à ce qu’ils me connaissent. Je poursuis la dictée sans corriger les heures. Plaçant ses doigts sur les narines d’une flûte, ma chair frissonne sur les os du poème. Un troupeau de galets broute le bord des rives. Dans le passé dissous survivent quelques rêves. C’est une chose étrange l’écriture. On ne sait plus qui de l’ange ou de l’homme porte l’autre. Les yeux en face des trous, on louche dans la tête. Les doigts sur un clavier, on traverse le monde.

 

Je ne crois pas au sérieux, au réel, aux valeurs que l’on cote à la Bourse. Je ne crois pas en Dieu, à l’État, aux honneurs, aux distinctions sociales. Je crois à peine aux mots mais j’en fais mon credo. Accepter le pouvoir, ce serait comme trahir. Qu’importe qu’une porte soit ouverte ou fermée, si la prison c’est l’homme. Je crois aux mots du vent, des montagnes, des forêts, à la scie lancinante des insectes cachés. Je ne veux pas la cendre mais la ferveur du feu. Sans la chair des pas, la route ne serait qu’un trop long squelette. Les gestes font éclore la fleur d’une main. Un vent pareil aux chiens nous mord les oreilles. Le temps se conjugue à l’imparfait. C’est un été sans l’être, un automne endormi. C’est un hiver en laine, un conte sans enfant, un printemps sans décrue. Les arbres font la fête dans un cinq pièces en feuilles avant qu’un vent d’automne déménage les meubles. Les mésanges entêtées ne changent pas d’adresse mais se gonflent d’air chaud. Il recommence à faire froid. Les planches des maisons se préparent à l’hiver. Les toits se font des muscles pour supporter la neige. La sève se renfrogne dans son étui d’écorce. Je prends tout de la vie, pour le donner peut-être. Je vous offre le mieux et je garde le pire. Je transporte mon cœur sur un brancard de mots.




 

Publié dans Prose

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