Il s'agit

Publié le par la freniere

 

J’ai rentré mes pieds et mes mains dans une phrase et j’essaie d’en sortir. J’ai des voyelles plein les yeux. J’ai posé mon front contre la page. Les mots pataugent dans mes chaussettes. Les mots s’usent à force d’être dits comme de petits hommes débranchés de l’enfance. Les bruits cachés supplantent les images trop vives. Quand la pensée remonte, elle se perd aussitôt. Quand les nuances du décor ne sont que métaphores, je m’accroche à mes pas, à l’appel des routes. Je traverse l’océan sur le bord de la table. Je cours dans l’inévitable vers tout ce que j’ignore. Je dessine ma vie au lieu de la gagner. Je perds mon temps pour gagner quelques mots, trouver le mot perdu. J’écoute bouger en moi la couleur des planètes. Si tout croule, tout s’écroule, j’espère au moins rester debout, être celui qui marche, celui qui continue sans savoir où il va. Dans les pas parallèles se divisant la route, il suffit d’une main touchant une autre main pour trouver la chaleur. Si ce n’est pas par l’homme que pense la matière, c’est par la vie que nous aimons, espérant que la mort nous rende plus vivants.

Où a-t-on mis le ciel ? Les nuages ont des yeux d’enfant triste. Les oiseaux ne savent plus où voler. On les ramasse en tas dans la grisaille de l’homme. Dans l’asphyxie du réel, les mots me servent d’oxygène. Je vis à leurs dépens comme ils dépendent de moi. Les mots remplissent le vide pour en faire à la fois du rêve et du réel. Dans les yeux d’un enfant, le sourire d’une mère continue de grandir. C’est de là que j’écris pour me garder vivant. Le plus petit insecte nous livre son message. Il faut le déchiffrer comme un fétu de paille. Le corps se souvient de ce qu’il n’était pas. Il ne sait pas encore ce qu’il ne sera plus. Il ne s’agit pas de dire. Il ne s’agit pas de taire. Il ne s’agit pas de faire ou défaire. Il ne s’agit pas de partir ni d’arriver. Il s’agit simplement. Le langage est lui-même en action. Je vous salue rivières. Je vous salue oiseaux. Je mets des mots dans les moments qui composent les choses. Je ne sais pas ce que je cherche, pourtant je suis ce que je cherche. Je traque l’illisible dans le blanc du papier.

Quand on a tout perdu, on peut tout donner. On apprend par la faim l’importance du pain. Soit on adore l’argent et radote ses sous, soit on aime la vie et les questions qu’elle pose. J’ai toujours un pied qui s’éveille avant l’autre. Le pied gauche dort encore. C’est mon pied de rêveur, celui qui boite et traverse la rue en arrachant les clous. Ils me mènent tous deux au bout cassé des routes. J’ai une main qui oublie qui elle est, une autre qui pense tout savoir, cinq doigts qui creusent, cinq autres qui s’envolent. Je suis armé contre le désespoir. J’ai toujours un crayon à portée de la main. L’écriture ne dit pas ce qu’il y a, elle cherche ce qu’il faut. Il y a la terre au sein de chaque mot. Il y a la mer dans une goutte de pluie. Il y a des millénaires dans une seule caresse.  La culture se moque du savoir et se méfie de la technique. Je voyage à dos d’arbre. Je veille dans la pierre. La vie est dans la vie, la douleur et la joie. La vie est dans la voix, le silence, la mort, la ride, la cicatrice, la tache noire d’un poumon, une fleur égarée sur un champ de bataille. Il ne sert à rien de plier ou déplier le temps, il n’en est pas plus long ni plus court. La durée pleine d’objets ne sert à rien sans vie, sans âme, sans amour.


Publié dans Prose

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