La cervelle de l'air

Publié le par la freniere

Les hommes ont commencé par se lancer des pierres. De ces pierres, ils ont fait des murs, des prisons, des églises. Ils ont fait des martyrs avec les blessés, puis ont crée un dieu. C’est incroyable ce que les hommes inventent pour éviter d’aimer. La pauvreté tire parti de rien. La richesse appauvrit tout. Quand la seule chose qui compte reste l’économie, on s’en veut d’aimer. On n’ose plus prendre son temps. Toutes les minutes sont à vendre. Chaque seconde est comptée. L’horloge fait le trottoir. Dans l’esclavage du salaire, chaque geste est un effort de valet. J’ai pris ma retraite depuis longtemps. Je roule des pelles au vent du nord. Je caresse les arbres. J’embrasse le hasard après chaque détour. Je ne lis plus de canards. Je les regarde s’envoler à la une du lac. Du goût de la cannelle au parfum des lavandes, mille petits satoris viennent ponctuer les jours. J’ai bâti dans ma tête une maison de hobbits, un village de gnomes. La mer vient cogner sur les tympans d’oreille. Les jardins de Babylone embaument la cervelle de l’air. J’ai les neurones qui hoquètent, un peu de ciel dans les globes oculaires. Le monde tenu en équilibre sous la pointe d’un crayon finit par s’effondrer. Il faut changer les mots.

 

Sous la pluie, le paysage n’est plus qu’un fondu enchaîné. On tend la main vers l’invisible. C’est la fraîcheur qui apparaît comme une image humide. Elle colle sur la peau. Le vent soulève des haltères végétaux. Il joue l’hercule, le malabar, le lourdaud de service. Il est difficile de doser les uppercuts de l’air. Le visage des murs en porte les balafres. Devant l’insuffisance du monde, les mots tracent leurs labours sur la terre des pages. Les phrases montent en graines. La descendance pousse dans le ventre des femmes. Ceux qui dorment dans la laine remercient les moutons. Ceux qui rêvent dehors observent les étoiles en tisonnant la nuit. Des étincelles gravitent dans leurs yeux grands ouverts. J’attends l’averse dans la goutte. Je cherche autour des mots un lieu plus habitable. Chaque parole est un lieu. Chaque jour est une phrase qui envahit la vie. Chaque phrase est un geste et l’encre gesticule sur le plancher des pages. Chaque main tient la rampe d’un escalier branlant. Chaque bas cherche un haut. Chaque trou cherche un plein. Chaque mot cherche un sens. Je me noie dans les mots.

 

Autant j’avais la langue bien pendue, j’ai besoin de silence dans mes cahiers trop pleins. Dans mon jardin ouvert, j’ai des oiseaux secrets, une parole d’évangile et mes tics de langage. J’ai ma cachette d’écureuil dans tous les arbres morts, des cailloux dans les poches, des souvenirs au clou. J’ai de l’humus d’âme pour digérer le monde, des muscles d’homme saillant sur le papier, quelques flammes encore vives dans mes brouillons de cendre. Je ne dors qu’à moitié. Les rêves mangent mon sommeil. Des phrases m’éveillent dans la nuit, préparant le café et me sortant du lit. Elles forment une vallée dans la montagne du temps. Elles cherchent la matière composant la lumière. Le vent n’en finit pas de fuir. On le saisit parfois par les trous d’une flûte ou un envol d’ailes. Dans ses ombres glacées, le givre d’une vie reflète le soleil. L’homme, la main dans celle de sa misère, attend la main d’un ange.

Publié dans Prose

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