La quête

Publié le par la freniere

Chacun de nous est dispersé sur toute la terre, peu importe les chemins que l’on prend. Nous errons de lieux en lieux, par fragments, de bribe en bribe. Je ne cherche pas un Dieu mais un homme juste, un seul, pour que je prenne exemple, pour l’émerveillement, l’esquisse d’un sourire sur le visage du sable. J’ai croisé ce matin une famille de colverts, des têtus refusant de partir ou n’étant pas grégaires. Ils patinaient patauds sur la glace du lac. Je traîne dans mon carnet quelques prières d’insérer, des héros de papier pissant encore de l’encre, des phrases mal famées, des poèmes avortés, des fragments de vie attendant le miracle. Le temps ne trie jamais les petits riens qui restent. Ils prennent avec le temps le parfum suranné des choses qu’on oublie. Aucune quête ne trouve jamais son épilogue. On ne saura jamais le vrai but de l’espoir sinon même sa quête. On avance à tâtons, ne rassemblant jamais qu’une partie du puzzle. Sans doute est-ce la même lumière qui revient au matin, la même pluie qui tombe à chaque orage, le même état d’esprit qui anime l’abeille ou le rhododendron, la rouille ou la rosée.

        

Sous le plus doux de la chair sont les os les plus durs comme les mots les plus doux sous le plus dur de la vie. Chaque livre commence comme un escalier. On y monte en s’écorchant les mains sur la rampe des mots. Chaque phrase est une peau qu’on arrache. J’écris pour être nu. Les choses sont tristes ou gaies selon ce que les hommes en font. On ignore tout des pierres en quête d’un visage. Elles font renfler la terre sans voir le soleil. Pour atteindre la perfection de la mort, il faut parfois changer de route. Il ne s’agit pas de faire fortune mais de vivre en accord avec les saisons. Autant chez les outardes, les vagues de la mer que dans les branches des arbres, la ligne droite est une aberration. Dans l’auberge aveugle du chagrin, les larmes sont des yeux. Lorsque le gel ferme son poing sur le dernier bourgeon, ce qui vit sous la neige n’en a pas moins de vie. J’écris le mot barreau pour en faire une échelle. En prison, je l’efface. Il faut cesser d’avoir pour ne pas cesser d’être. Ce qui ne tremble pas finira par tomber.

 

Quand l’ombre devient plus lourde que celui qui la porte, il faut changer de route. Il nous faudra choisir : à chaque chien sa niche ou chaque rue ses clochards, à chacun ses chaînes ou sa révolte. Pour le rêve d’un ange, le corps est un logis piteux. La laine des mots aimés se découd de partout. Il faut retricoter le grand châle du temps. Je garde au fond de moi des caillots de mémoire dont le sang brûle encore. On ne porte pas le monde sans plus petit que soi, des puces gorgées de sang jusqu’aux grains du pollen. Les guêpes se construisent des cathédrales d’argile. Les colibris voyagent sans compas ni boussole. Les cactus en prière survivent de si peu. De la musique au brouhaha, les bruits se croisent et se mélangent. La terre n’appartient à personne. Les bêtes qui marquent leur territoire ne font que protéger leur espace vital. Il n’y a que les hommes qui marchent sur les pieds des voisins. Il faut tenir la bride à leur moi de grenouille qui veut se faire bœuf. Quand le verger est mûr, les pommes dégringolent et fécondent la terre. La pluie fera le reste. Chaque seconde de vie m’est un lieu de naissance. Dans le mitan de l’âge, l’enfance donne la main à sa propre vieillesse. De la première gifle à la dernière caresse, un même sang rougit la peau.

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article