Plus tard, peut-être

Publié le par la freniere

Voilà c’est fait, l’homme se mange lui-même. Les abeilles butinent le sucre des poubelles. Qui a caché le soleil dans la poche d’un imper ? Qui a sucré la terre montée en neige ? L’éventail d’une main remue le vent des gestes. Tout a le même passé, le même futur. Seul le présent diffère. Je compte les secondes sans référence au temps. Le cynisme des Européens ne vaut guère mieux que l’inconscience des Yankees. Je suis Américain sans être un Yankee. Chose certaine, je ne suis pas Canadien. Je ne crois pas qu’il y ait un seul véritable Canadien au Québec, même chez les fédéralistes et les anglophones. Notre sang déteint sur eux. Je suis Amériquois. Nous sommes pour la plupart issus d’une squaw et d’un repris de justice. Il y a toujours un métis qui rêve en nous, un Français qui réapprend à vivre, un Irlandais casseur de gueule mais au cœur en chiffon. Dans notre tête de pioche, la Nervalie se confond avec l’Ouest des coureurs des bois. Il y en a qui voyage pour oublier. Toute fuite est impossible. Quand on part, on s’emporte avec soi. Le «plus tard, peut-être», nous éloigne de l’instant.

 

«Maman est morte», ces mots, on ne les dit qu’une fois mais ils durent longtemps. Ils résonnent à chacun dans chacun de nos pas. Je marche avec trente ans par jambe, combien de mots par jour, combien de nœuds par caboche, de caresses par le cou, de rêves par la tête, combien d’images par seconde ? Le doigt sur la gâchette ou sur le clitoris, la main qui soigne, la main qui tue, la main qui saigne, la main qui aime, la main qui bat, la main qui aime, le bras de fer, le bras d’honneur, le bras qui lutte, le bras qui cède viennent-ils du même corps ? Le gel fait du givre avec l’humidité. Quand le soleil s’en mêle, l’espace cligne des yeux. Ma langue fourche dans les rails des lois. Ma langue est proche dans la distance. Ma langue caresse des cadavres pour y mettre la vie. On ne traverse pas le monde. On l’emporte avec soi. Il est aussi fragile que nous. L’ordre social n’a que faire de l’homme. Il lui tranche la tête, le matraque, l’emprisonne, quand il hausse le ton. Nous ne rêvons jamais en vain. C’est la réalité qui souvent manque de vie. L’essentiel se dérobe dans les choses. La pauvreté nous permet de choisir les moments les plus riches, les mots les plus féconds. Rien ne signifie jamais rien. La page blanche attend qu’on la remplisse. J’aime la poésie des arbres. Ils poussent où ils veulent. Quand ils se dressent tout croche, ils se confondent avec la volonté du vent. J’aime la terre et ses ruisseaux. La pluie lisse mon ombre, la rendant aussi légère que celle d’une fougère.

 

Plus jeune, j’étais enfant de chœur. On m’a forcé à manger Dieu et je n’avais pas faim. Depuis, je recrache ses os. Je sacre comme un ouvrier, le doigt coincé sous le marteau du boss. Dix chars de crisses, cinq par banc, avec un yable tenant le volant.  Trop de gens ne font même plus semblant de vivre, ils végètent. Aurons-nous bientôt droit à un Occupation double pour les vieux, une purée pour les loups, un placebo d’amour ? Que faire de ce trou dans la paume du passé, cette fêlure du temps dans le rétroviseur, tous ces pas oubliés qui fondent sous la neige ? Il m’arrive de plus en plus souvent de confondre les gestes automatiques, mettre une aspirine sur ma brosse à dents au lieu d’un dentifrice, mettre le beurre dans une poubelle et mes lunettes au frigidaire, mettre du sel dans mon café ou bien du sucre dans ma soupe, mettre les plantes à l’ombre et ma chemise à la poste, mettre mon chapeau avant de m’endormir. Je sors par en avant pour aussitôt entrer par en arrière. Je pars acheter une miche et je reviens sans une seule miette de pain. Qui a dit que la neige n’avait pas d’odeur ? Son parfum est si subtil qu’on peut le respirer deux jours avant qu’elle tombe.

 

Je me méfie des hommes dont le premier outil est la cravate, des femmes aux seins siliconées, celles fardées avec une précision mathématique, des enfants qu’on déguise en adultes. Ils traînent pour la frime des sacs de poudre aux yeux. On mise toujours sur le paraître pour cacher quelque chose. C’est comme la langue de bois qu’utilisent les politiciens. Ceux qui aiment s’habiller chic le font pour eux-mêmes, pas pour épater la galerie. Ceux qui portent un semblant d’uniforme m’horripilent, les cinéastes et leur casquette à l’envers, les skins et leurs bottines d’armée, le long foulard des poètes, la barbe des prophètes. L’homme politique le plus sincère du Québec fut René Lévesque. Il était pourtant mal attifé, un veston trop grand, des pantalons fripés, un bout de mégot scotché aux lèvres, un grand poil peigné de côté, la cravate mal nouée. La vérité de ses mots, l’eau claire de sa parole suffisaient pour l’aimer. Il faut de la passion même pour passer le balai. Les travaux ménagers demeurent la thérapie la plus utile. Tout ce qu’on vécu traverse nos paroles. Quand le silence se fait, il y a toujours en aparté quelque chose d’humain qui s’apprête à naître et nous prête à penser. Les personnages de roman, on les croise partout. Ceux de la rue n’existent pas dans les romans. C’est par la poésie qu’on peut toucher leur âme.

Publié dans Prose

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