Sur le cours des ruisseaux

Publié le par la freniere

 

La neige des pommiers détrempe le vallon. Oubliant ses cailloux, ses billes, son trésor, l’enfant poursuit des yeux le vol d’un papillon. Il n’est pas comme l’avare alourdissant ses pas en s’emplissant les poches. Les pieds légers du vent caressent l’herbe fraîche. Le fleuve coule vers la mer en emportant sa mort. Je marche sur la rive où chaque arbre est une planche de salut. L’essence du vécu fait fi des apparences. Les dieux sont morts sous le poids des monnaies. La langue des passions est réduite aux fadaises sur les courriers du cœur. Hommes politiques, affairistes véreux, bradeurs de pays, éteignoirs d’espoir, gens de bien mal acquis se partagent le monde. Nous voici à genoux devant le cours de la Bourse, le retable des banques, dans la prière des téléscripteurs. Indifférents aux choses du commerce, je fonde ma parole sur le cours des ruisseaux, le bilan de la pluie avec ses chiffres d’eau, la grammaire des arbres conjuguant les racines. Peu me chaut les profits, la pauvreté est une manière de vivre. Ce qu’on perd en clinquant s’enrichit de bonté.

L’histoire de l’homme s’est écrite sur la lame d’un couteau, la crosse d’un fusil, une larme d’enfant, une goutte de sang. Le monde rétrécit à la vitesse des avions mais la lenteur des tortues lui prête encore une âme. Quels animaux étranges sont devenus les hommes. Je contemple une fleur au milieu de la meute. J’écoute un chant d’oiseau au milieu du vacarme. Les mots s’étirent dans la phrase pour voir les étoiles. La tendresse persiste à dissiper la nuit. Avant d’apprendre à déchiffrer le silence, j’ai enduré le bruit. Je laisse de petits bouts de papier fleurir les pavés. Les nuages fondent en larmes pour les fleurs assoiffées. Les oiseaux chantent pour leurs frères les arbres. La forêt se reflète dans l’éclat d’une feuille. La faim offre son pain, le froid ses vêtements. Mais les hommes, leur pupilles aveuglées par l’éclat du dollar, ne voient pas les bébés enterrés sous les ruines. Ils ont décoloré le rêve du vieux Marx et renié leur âme. Leur enfance bascule dans la nuit des objets. Le bruit des tiroirs-caisses a remplacé Mozart. Il existe pourtant d’autres hommes qui croient à la bonté. On les dit fous, poètes, utopistes, rêveurs, quand ils tiennent à la main la braise de survie. Ils apportent un violon aux villes sans musique, la paix, le sel des mots, la beauté d’une étoile parmi la neige noire.


Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article