Suspect

Publié le par la freniere

Aujourd’hui où il est devenu suspect de marcher sans but, la promenade est une forme de rébellion. Dans la cité des arbres, chaque sentier est unique. Le plus sombre bosquet est un espace ouvert. J’aime être entouré de milliards de feuilles. J’avance en titubant enivré de pollen. J’ai du mou dans les jambes. J’aime cette fatigue du marcheur, les haltes pour reprendre haleine ou ramasser des glands, pour humer la résine, observer les insectes. Je me suis fait l’oreille aux bruits de la nature. Chaque promenade me conduit vers un livre. Chaque paysage est une immense bibliothèque. Chaque arbre a sa manière de sourire, chaque ruisseau sa façon de pleurer. Que vouloir de plus que le vent sur la peau, le sel sur la langue, l’odeur chlorophyllienne des forêts, le soleil jouant du Bach sur les claviers de l’ombre, les bras de l’invisible se mêlant au corps du visible. L’ailleurs est à deux pas. Le proche est infini.

 

Ce que les autres ne voient pas, il faut l’attente et le désir pour le voir, la patience et le pas. Les routes m’ont crée beaucoup plus que les hommes. La terre quand elle dort a des sourires d’enfant ou des râles de vieux. Toute végétation est un centre de vie. Il manque la chlorophylle au béton et la sève à l’acier. On marche toujours un pied près de son cœur et l’âme dans la gorge comme une pomme d’Adam. L’homme est lui-même une route. Il perd son âme quand il s’arrête. L’eau des livres est plus que l’eau des livres. La pierre d’un poème est déjà la montagne. Je ne sais pas où mène la route que je prends. Je l’écris à mesure. Pierre, arbre, saison, je bricole ces mots dans le tracé des pas. Je n’en finis pas de marcher pour arriver chez moi. Le plus petit caillou me sauve du néant.

Publié dans Prose

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