Tout recommence

Publié le par la freniere

Tout recommence sans jamais être pareil. Un oiseau appuie sa gorge sur la paille pour arrondir son nid. La brume se soulève et cache l’horizon. Le foin, peu à peu, se transforme en neige, le lac en pont de glace. Penchée sur son cahier, la pluie s’applique comme un élève trop studieux. Elle tombe droite, sans un pli. La vie manque à la vie. L’amour est vide. Les mots je ne sais pas aimer font comme un trou dans le cœur. Le dedans n’atteint pas le dehors. L’âme est comme la géode enfermée dans la pierre. Chaque pierre est sans défense mais qu’en est-il de l’homme ? Qu’espèrent les oiseaux qui picorent la neige ? Le texte à lire s’efface. Le ciel éparpillé dans le sang, le sens écartelé de portable à portable, l’absolu ne verse plus son encre. Le réel a dévasté le rêve. L’herbe ne pousse plus entre les mots. Les yeux se font cassants sur le miroir des pages. Les écrans nous arrachent la moitié de la langue.

 

 Trop de choses empoisonnent l’espoir. Chez l’enfant, la faim est une colère, la caresse, un besoin, comme le doigt du vent sur le ventre d’un moineau Il agite le ciel du bout de son hochet. Il faut apprendre à l’écouter. Ses rires sont des atomes de lumière. J’ajoute l’or des mots au cahier des misères.  Qu’est-ce que la folie sinon l’intelligence de la vie, une trop grande perception. Les mots sont trop petits pour habiller l’amour. La vie se perd dans les riens, le métier, l’argent, la gloire, la vanité des choses. La vie se cache dans le manque comme l’insecte dans l’herbe digérant le soleil. Un feu sur un glacier ne brûle pas longtemps. L’absence de repères trace une route à suivre. Les mots prennent leur sens sortis du dictionnaire. Ils naissent dans les phrases et le sang des images. Je voudrais vivre encore comme un enfant dessine, au bord de l’écriture, dans l’attente des mots.

        

 Il n’y a pas d’heure juste, seulement du temps qui passe, des étoiles, des bêtes, la neige de l’espace, la pluie qui éternue sur le cahier des blés. Comment trouver sa voix dans la vulgarité de l’argent ? Elle vient de l’âge de pierre, de l’orage, de l’innocence des enfants, de la douleur et de l’amour. Elle vient du dedans. Elle vient de loin. Écrire ne coûte rien qu’un pas vers l’absolu. Dans les cahiers d’écriture, l’ombre de l’encre côtoie la lumière des pages. L’ange et la bête s’apprivoisent. Les jambes sont deux routes qui se croisent. Les doigts agitent l’air en millier de frissons. Les fruits décomposent leurs sucres. La grande voile du vent faseille de nouveau. La main de l’écriture ouvre toutes les portes mais celle des banquiers les referme derrière. L’amour est la seule aide pour traverser l’enfer.

        

 Oublié des oiseaux, un fruit s’enfuit dans son parfum. Je suis la même route que celle de la pluie. Je viens au nom du lys, de la neige et du vent, de la terre avec ses animaux et ses femmes en pleurs, de l’arbre avec ses racines et ses branches en fleurs. Mon crayon sert à tout, de route ou de maison, de prière ou de cri, d’accolade ou de poing, à tenir un verre d’eau, à mouvoir la roue, à traverser la rue, à labourer le ciel. L’usine végétale distille le soleil en légumes et en fruits sans chercher le profit. L’eau se donne à la soif comme les arbres aux nids d’oiseaux. Le fleuve n’oublie pas la source d’origine ni la mer où il va. Les saisons se font la courte échelle sans arrière-pensée. La lumière va et vient, exaltant ou repoussant les ombres. Lorsque le ciel caresse les cuisses de la terre, les insectes stridulent pour remercier la vie.

        

Les cardiogrammes de la vie s’affolent au passage des hommes. Les boussoles tournent en rond. Les autos calent entre deux pannes d’espoir en épousant la rouille. Les boites de conserve tirent une langue ébréchée. Des rats s’épaillent dans les reliefs du monde. L’homme le plus seul porte aussi du pluriel. Son identité colore la vaste foule des autres. Des fantômes s’agitent entre les parenthèses. La mort n’est qu’une vie différente. L’absolu est une affaire de vivants. Le crayon, le pinceau, les doigts sur un piano, la paume sur l’argile, les mots sur une page font apparaître l’âme. Les nuages inventent le sourire du ciel.

 

Les arbres savent par le haut et le bas. L’homme fait des affaires, signe des contrats, va à la guerre, à l’usine, au bureau. Il est rarement contemporain de l’âme, synchrone avec le rêve. Il habite en banlieue de lui-même. Il a peu de temps pour l’infini. Un seul billet de banque lui cache l’horizon. Il rapetisse en vieillissant. Il n’éprouve plus rien, il ne veut que la preuve. L’espace est trop petit pour le dedans, le corps trop étroit pour le cœur, la main trop lente ou trop rapide pour le geste, le regard trop près pour voir de loin. La pensée passe d’un nuage à l’autre, de la tige à la fleur. La pluie ne tombe pas. Elle s’immisce dans les mailles de l’air. Lorsque la dernière défense de l’âme se dévêt du corps, je continue de marcher, les yeux plus grands ouverts. Il y a des têtes où je voudrais entrer, des rôles dont je voudrais sortir, des accolades brisées, des caresses oubliées, des devoirs à refaire. Je voudrais être en lien avec toutes les fleurs, les anges, les licornes, les personnages de contes. J’ai trouvé dans les mots une vraie maison, une fenêtre dans les livres, une parole dans les choses.

 

Les marchands parlent déjà trop fort dans les chambres d’enfant. L’argent écorche les oreilles. Si c’est l’homme qui fait l’homme, il ne faut pas chercher ses ailes dans les livres de comptes. Je me raccroche aux mots à défaut d’autre chose, ceux qui ne mentent pas, ceux qui sentent la vie, l’urine et l’homme, ceux dont l’encre se mêle au sang, le sens à la poussière, les images à la voix, ceux qui nous tiennent debout à l’aide d’un seul doigt, une voyelle ou un cri. Le fil de la parole recoud les choses disparates, la tête avec le cœur, les gestes avec la route, la peau avec le rêve, l’amour avec la mort. Heureusement que les oiseaux pépient dans la cage thoracique des poètes. Ils avancent en longues colonnes de phrases, couvant les mots dans un nid d’encre. Une lumière remonte du fond de l’âme. Nous venons d’aussi loin que la vie. Où allons-nous ? Que faisons-nous à part améliorer les façons de détruire le monde sans se bâdrer du reste ? La matière du monde est un reflet de l’âme et sa manière d’être. Je porte entre les dents le pays à naître dans toutes ses grosseurs, le rêve des bourgeons, l’enfance revenue, tout l’amour à donner, l’autre côté de tout.

Publié dans Prose

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