Un pépin de pomme

Publié le par la freniere

J’apprends à lire dans l’herbe l’itinéraire des fourmis, le gîte caché des lièvres, mais quand le vent dépasse les collines, je n’arrive plus à rattraper le temps. Je rêvasse dans l’herbe des secondes. Les pointes de sapin grafignent l’eau du ciel. De vieilles pierres durcissent les bourrelets de glaise. Le vent remue la grosse tête d’un saule. Sa moustache de gaulois laisse pendre ses poils, laissant une ombre verte à la gauche des mûriers. Les pommes de pin craquent sous mes pieds. Aujourd’hui est un jour malade. Le vent toussote. L’air trébuche dans les poumons. La voix crachote des mots glaireux. Les feuilles désemparées se tordent sur les branches. Le soleil du matin a trahi sa parole. J’écris à l’encre noire. Je rature les vides entre les déliés. Les vers s’agitent sous la terre dont la pluie est friande. Des milliers de petites bouches lui pénètrent la peau. L’air n’est pas vide. Il n’y a rien de vide. Il y a tout un monde dans l’air, des petits rires de poussière sous les pieds, des gnomes sous l’écorce, des fourmis dans les jambes. Le dos musculeux des collines sue de partout. Le vent s’écrase contre lui avant de rebondir entre les flaques de vase. On dirait que le ciel a grossi depuis hier. Trois épaisseurs de graisse en cachent l’ossature. Le ventre des nuages assombrit l’air ambiant. Les arbustes au sommet de la colline ont l’air de poils plantés dans un grain de beauté. Le vent tombe. La pluie cesse. Les mains folles des foins applaudissent en dansant. Dans le silence des odeurs les oiseaux se remettent à chanter.

 

Il m’arrive de voir avec les mots ce que les yeux nous cachent. Consentir à la grâce des fleurs raffermit l’espérance. Consentir à la mort agrandit le chemin. Les mains qui s’ouvrent pour donner embellissent le cœur. Je passe des heures à écouter la sève, à me greffer aux arbres, à vivre à l’unisson du murmure des bêtes. La forêt m’ouvre à chaque jour une porte nouvelle. Quand les vergers blanchissent, ça sent le cœur de pomme, la poudre de pollen, le bonheur des abeilles. Le pouls des arbres s’accélère sous la caresse du soleil. Mon crayon sur la page contourne un pépin de pomme et grimpe jusqu’à l’air. Quand ils coulent de source, je monte sur les mots plus haut que le réel. Une phrase m’attend au-delà de mes pas. Un paysage sans frontière y offre l’infini. Je me laisse boire par le tout. Quand l’ordre porte l’ombre, il faut beaucoup de soleil au désordre des mots. Je peins des tournesols avec les virgules, des fleurs de rhétorique, des jaunes à la Van Gogh sur la tête des i, des bouquets de pensées entre les bras des u. À force d’observer les petites oies sauvages, je verse l’eau du lac par le bec des yeux. Le blanc des pages bouge dans le vague des phrases. Le cœur trempé de larmes s’y rafraîchit parfois et se remet à rire. Aimer est la seule chance de survivre à la foule.

 

Dans la coupe du lac quelques poissons pétillent comme des bulles de champagne. Tout est calme. Tout semble dormir. On n’entend que le ronflement du vent dans la poitrine de l’air. La route se dérobe sous la cabane des jambes. Je ne m’inquiète pas des gestes de la terre. Elle fait ce qu’elle doit. Les pierres ont des visages qui ne mentent jamais. Ce sont les hommes qui m’inquiètent. Ils ne voient pas toujours la souffrance des plantes, l’intelligence des ruisseaux, l’énergie qu’ils gaspillent. L’amour qu’on néglige est comme une eau sans force. J’ai comme une ruche dans la tête. Je vois des choses dans les mots. Sur les jambes des phrases, un arbre marche avec ses fruits. Tout est possible. Le meilleur et le pire. Certaines heures sont faites dans un mauvais tissu. D’une image à l’autre, le fil s’enchevêtre. Il faut sans cesse les remmailler, les recoudre avec le fil des mots, laissez battre le cœur aux soubresauts de l’âme. C’est fort la vie, les plantes, les bêtes, l’insecte au creux de l’herbe, la source qui moutonne. Nous avons nos bagages comme la soute à jardin et le grenier des arbres. Les alléger du poids des choses ne change pas la route mais le but du voyage. L’équilibre des rides éclaire les visages. Le partage adoucit les cals sur le cœur et le noyau de l’âme sous l’écale du corps. Plus on meurt vivant, moins la mort nous tue.

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article