Un petit vent

Publié le par la freniere

La neige virevolte comme un plumage de merle. Sur le sol encore mou, les flocons s'agglutinent. J'avance dans la brume avec le nez rougi et les sourcils givrés, les mots enchiffrenés par le rhume du texte. Le monde entier n'entre pas dans une parenthèse. Des gestes s'en échappent. La névrose se propage de portable à portable. Personne n'écoute plus personne. J'ai effacé mon numéro. Je n'ai plus qu'un visa pour le rêve tamponné par la route. J'avance à la godille entre les lignes d'un cahier. Je ne veux plus des plages ponctuées de goudron, des oiseaux mazoutés essayant de voler de leurs ailes gluantes, des pétroliers géants qui pourrissent la mer. Je n'ai pas oublié le secret des grenouilles. Ma maison est à la fois chapelle, bistrot et librairie. Des poèmes battent de l'aile dans le feuillage des livres. La voix du monde frissonne de l'anus à la nuque. Les idées robinsonnent sur une île mentale. Sur la page quadrillée du sol, l'urine de chat se mêle à l'eau boueuse des bottes à vache. On écrit comme on peut. La sueur s'infiltre sous le givre de l'encre. Les morts n'empêchent pas l'herbe de pousser sur les tombes. Au contraire. Il faut bien que la terre respire et offre ses odeurs. En été, la rosée perle au cul des roses. Les écureuils provoquent les noisettes en duel. L'hiver, c'est le froid qui nargue les humains. Les bras s'élancent pour dégager les entrées de garage. J'éparpille sur la table des miettes de lecture, des mots volés au temps, des filaments de brume coïncés entre deux phrases. On a toujours en réserve des cartouches de sang dans la culasse des veines.

Mon loup est mort de vieillesse. Il est allé agoniser au fond du bois. J'ai trouvé sa dépouille au printemps, rongée par les buses ou les urubus, ces charognards de l'âme. Je reste seul. Plus personne ne sonne. Mes yeux décollent des plaques de paysage pour regarder plus loin. Quand je ne pleure pas, la parenthèse d'un sourire m'ouvre les lèvres. Je sinue entre les lignes sur un bateau de papier, des hectares de houle en friche sous les paupières, des sillons de terre en glèbe sous le crayon. Je titube entre les signes, les jambages arthritiques des mots, les ans passés, présents ou à venir. Je caresse du doigt les hanches de la mémoire. De vieux cahiers encombrent tous les meubles, des bouts de lettres, des phrases éparpillées. Les mots sont une réplique à l'absence de baisers, des caresses invisibles. Ils circulent d'un espace à l'autre avec les ailes des voyelles, l'ossature des consonnes. Sans un balai de sorcière, les chaises vides ont rendez-vous avec la poussière du temps. Les vitres sales peinent à sourire au soleil. Il est difficile de ligoter le ciel. Il sort toujours du sac comme un chat à huit vies. La vie se paie cash avant la mort. Les courbatures et les rides effacent la dette des années.

Les jambes de la pluie divaguent d'un bord à l'autre des maisons. Je siffle après mon ombre comme un chien jappe après sa queue. On ne peut pas grandir sans abattre des murs, toucher le feu sans se brûler les doigts. Un petit vent sur la cendre aura raison de la pudeur des braises. Je crois aux clous et aux épines, au chant des ouaouarons, à la mort des hommes. Il y a longtemps que le Christ dort sur sa croix. Il n'est jamais ressuscité. Bouddha est à la diète pendant qu'Allah doit porter des échasses. Le vent qui fait bouger les nuages agite aussi les arbres. Les oiseaux volent à contre-sens ou prennent appui sur lui. Les mots qui portent l'homme s'enfoncent avec lui. Faudra-t-il plonger nu dans la neige pour que les mots frissonnent, desserrer les mains de l'ombre au cou de la lumière, jeter du sel sur la plaie, détacher les lacets de la route où trébuchent les pas? Emportés par les vagues, les châteaux de sable ne vieillissent jamais, mais l'enfance prend les plis que lui donne la mer. Le goût du lait s'efface dans la broue de la bière. L'ami imaginaire s'estompe dans la brume. Il suffit qu'une chaise manque pour que l'absence joue à la chaise musicale, penchant son ombre sur la table. Pêcheur de mots, j'attends la secousse au bout du fil. Le plomb à l'encre sur la page tire plus d'eau que de poissons. La cour des mirages laisse pousser des fleurs et voler des oiseaux. La cour des miracles est parsemée de prés, de bois et de rivières. La rose s'ouvre comme une main dans le poing des épines.

Jean-Marc La Frenière

 

 

Publié dans Prose

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