La rose sans épine

Publié le par la freniere

L’homme s’est trop longtemps prosterné devant les chaînes. Il n’entend plus le vent qui souffle dans les chênes. Il ne respire plus qu’un air boiteux. Les bras des statues sont devenus civière. Le fil du temps est devenu licou. La rose a oublié de nourrir ses épines. L’enfance élève contre l’homme un rempart de larmes, une barricade de rires. On aura beau changer d’image, de drapeau, de pays, c’est l’homme qui a mal. Il nous faudra mêler le sang de l’encre et la chair des mots, démêler la prière et les tables de lois. Je veux bien leur donner mes papiers si je garde mes mots. Je vis avec le feu, la rébellion, l’étincelle. Quand je tiens quelque chose, je ne sais plus quelle main est vide.

Il n’y a pas de profit qui soit juste ni de nobles ambitions. Derrière chaque vitrine, je pressens des emmurés vivants. Derrière chaque billet de banque, des enfants meurent de faim. Derrière chaque serrure, une clef se révolte. Les portes ne grincent pas, elles pleurent pour s’ouvrir. Sur le toit des ancêtres, des tuiles tombent encore. Sans crayon, sans papier, sans lèvres, sans parole, j’écrirai quand même. Ce sont les mots corrects et droits qui pensent de travers. Quand j’ouvre mon cerveau, les arbres s’y reflètent. Quand le béton s’effrite, la forêt se redresse. Debout sur la brèche du temps, je pousse devant moi la moitié de ma vie. Je saute d’une ligne à l’autre comme un vagabond.

Quand l’homme hausse la voix, les oiseaux cessent de chanter. La terre met ses mottes aux lacets de racines. On n’injecte pas la poésie à coups de citations. Elle est rebelle aux catalogues. Les mots transpirent dans mes mains. Ils soutiennent le temps. Il y a des souvenirs dans la mémoire de l’oubli, l’idée du verre dans la soif, celle du vert dans la graine, celle du pain dans la main du semeur, une parole enfouie sous la peau du silence. Toute vie provient du passé, du présent, du futur.

 Pendant que chantent les poètes et que dansent les fous, les normaux s’entretuent. Ce que je ne sais pas, je le demande aux pierres, à la lune, au soleil. Le ciel que je veux, je le vole aux oiseaux. Le temps n’est pas toujours le même. Chaque mot le dilate. Chaque image redessine l’espace. Une seule caresse aide les arbres à pousser, les rivières à dormir, les enfants à rêver. La pensée met des gants au cœur des ténèbres. Dans ce qui n’est pas là, je cherche la couleur, les choses entre les choses, les phrases entre les mots, les formes entre les formes. Je vis de ce qui manque, de ce qui vient, de ce qui meurt.

Publié dans Prose

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Commenter cet article
D
 De  la  braise  d'hier,  jaillira  l'étincelle  d'aujourd'hui..  Celle qui fera  le  feu  de  demain..Et  avec  une  encre  rouge  sang,  écrire  des  mots  de  chair..
A
je trouve cet article trés juste ... et je suis d accord avec toi sur eaucoup de point que tu pose ici ... bise bonne semaine