Une page d'automne

Publié le par la freniere

Sur la page de l’automne, l’été écrit ses derniers mots. La neige fait ses premiers pas dans les feuilles qui tombent. La nuit tombe plus vite que le jour ne se lève. Lorsque le rêve s’habille de réel, il faut une main pour dévoiler sa chair. Les fleurs sont aveugles sans les yeux pour les voir. Les hommes restent sourds sans les mots pour le dire. Le temps n’est ni vieillard ni enfant. Il réunit les deux dans une même phrase. Les chevreuils ont chaussé leurs bottines. Le vent colle ses cils sur la pupille des fenêtres. Fera-t-il beau demain ? La sève dans les arbres se prépare à dormir. Les taupes dans leur trou aménagent la nuit. Les fleurs distribuent leurs dernières senteurs et les érables agitent de grands bras enflammés. La mort semble suffire aux nuées d’éphémères. Dans la forêt muette, la lumière du froid remplacera la pluie et le chant des oiseaux.

Un casse-tête de nuages s’assemble sur le ciel. C’est un songe de neige blotti contre l’azur. L’échine d’un tilleul frissonne dans le froid de la cour. La délicatesse des fougères va laisser place aux babines de neige, aux gerçures du grésil. Il pleut depuis deux jours. L’humus et les nuages échangent leur savoir. Le cristallin de l’eau se transforme en nuit blanche. La neige comme une armée de chromosomes atteint le sexe de la terre. Elle porte la lumière dans le grain de sa chair. Dans le gobelet de l’aube, les herbes s’assouplissent comme les poils d’un pinceau. Sous les sillons durcis, la goutte d’eau épouse la semence. La terre se boit elle-même. Dans le cloître des branches, les quiscales ont l’air de moines en prière.

La pente du toit déploie ses ailes sans jamais s’envoler. Les fenêtres s’embuent sous la paupière des volets.  Tout ce qui était nu remet déjà sa peau d’hiver. La terre offre sa table aux fruits qui tombent. Leur peau se mêle aux odeurs de l’humus. Aucune pluie ne tombe sans remuer les sens, rameuter les parfums, labourer les sillons, faire gonfler la source. Sous la chemise de l’écorce, la sève remplit de muscles la chair des érables. Quand un nuage ressemble à une tête de chat, la pluie miaule sur les toits et s’accroche aux gouttières. Chaque noyau dans un fruit traverse l’infini. La chair d’une pomme prend le goût des étoiles. Le froid qui fait le vin de glace rend l’ivresse muette.

L’été a remisé ses fleurs. Les cigales se taisent. Les glaçons vont bientôt remplacer les gouttières. On ne démêle pas les cheveux de la pluie. Ses lignes s’entremêlent, se croisent, se mélangent. Ses ombres se dérobent dans les herbes jaunies. Les oies blanches ont laissé sur le ciel la peau transparente d’une cicatrice. Sur la rive du lac, une dernière vague signe les archives du sable. De plus en plus le gris l’emporte sur le rouge, l’herbe mauve des fossés. Le bleu des chardons s’envole en poussière. Les plus petits surgeons s’apprêtent à dormir. La colline ventrue ne prend même plus la peine d’enjoliver ses contes. Elle s’offre sans mirage à la lecture du vent.

Les insectes ont fini de sauter. Les sanguinaires ne tachent plus les doigts ni les bleuets ni les fraises. Quelques fétus de paille s’accrochent aux épines. La brouette à l’envers laisse tourner sa roue. La paille reste sèche dans le pentis du cœur. Les hérons sont rangés dans l’étui à crayons, les pattes pliées en quatre, avec du ciel autour et quelques vagues des marais. Le bonheur en automne n’est jamais de la bonne pointure. La tête des arbres rapetisse sous un chapeau trop grand. On n’a jamais le temps de repriser l’espoir. Les feuilles tombent avec les brins de laine et les aiguilles de mélèze. Les feuilles tombent pour renaître plus tard. Les gouttes d’eau jouent à cracher le plus loin. La main semeuse pend au bout d’un bras cassé. Elle servira de pelle pour déneiger la route, de crochet pour le bois, d’échelle à ramoner. L’attente est un prolongement de la neige.

Publié dans Prose

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D
En position de foetus, la terre se recroqueville.. en quête d'un peu de chaleur dans la matrice du temps..