Au coeur des blessures

Publié le par la freniere

Je suis de la parole comme on est de sa vie. Je n’habite pas une maison mais la terre tout autour. Son jardin est enclos d’une clôture de nuages qu’il m’arrive de sauter. Les Indiens ne marchent pas en file indienne, ils agrandissent l’horizon du cercle. Je tourne en rond comme une planète sur un axe de verre. La mémoire ne retrouve plus sa chair sous le carbone quatorze. Elle perd son temps comme une bague perd son doigt. La terre perd ses digues sous le fracas des bombes. Le sang ne sèche plus au cœur des blessures. Il suffit parfois du sourire d’un arbre pour reprendre courage, de l’aboiement d’un chien, d’un seul mot sur une page qui retrouve son sens. Il ne faut jamais oublier d’aimer. Cette seule possibilité tient mon cœur en éveil, ma soif près de la source. Toutes les lignes droites finissent en cul-de-sac. Il faut apprendre à s’égarer. Je marche à l’aveuglette. Je suis toujours l’enfant qui titube debout mais supporte le monde.

À semer tant de balles, on récolte des tués, pas un seul grain de riz pour nourrir les enfants. On se croyait perdus mais le malheur s’accroît. Il faudra plus d’amour qu’il n’y a d’êtres humains. Avant même qu’on meurt, il y a toujours quelqu’un pour essayer nos fringues. Il y a toujours une faille où trouver la sortie ou se perdre à jamais. Chaque mot laisse en nous une entaille de plus, une goutte de sang sur un collier de perles, un bouton d’or sur un froc de terre. Vincent s’est écorché l’oreille à entendre les couleurs. Le jaune criait si fort et le rouge pleurait. Il ne voulait que voir et peindre le silence. Les paysages où l’on circule ne sont jamais les mêmes. Ce n’est pas tant la forme des nuages qui change mais l’odeur des racines, l’agitation de l’air, la folie des pivoines. Nous renaissons à chaque instant, à chaque vol d’oiseau, à chaque pluie, à chaque pas. Sourcier des métaphores, je creuse dans les mots comme on cherche de l’eau.

Je vis sans thermomètre, sans parapluie, sans parachute. Je tombe de plus haut mais c’est un vol d’oiseau. J’écris avec les gouttes de pluie, les manches de pelle, les rhizomes des sanguinaires qui tachent tant les doigts, les pieds des libellules qui font des ronds dans l’eau. J’apprends l’écriture de l’arbre par ses fruits, celle de l’eau par la soif des plantes, celle de l’homme par sa misère, celle du soleil dans l’ombre où je m’abrite. J’accompagne le feu sur sa civière de glace. L’horizon a des ailes pour qui cherche plus haut. Les mots se nourrissent de mes yeux comme d’un pain d’images. Quand je parle de l’eau, des reflets de syntaxe éclaboussent la page. Sur la portée des phrases, les fleurs de rhétorique ont des robes de solfège. J’écris à même le cœur pour réveiller le sang qui dort seul dans les veines.

Publié dans Prose

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