Un bol d'oiseaux

Publié le par la freniere

 

J’ai posé un bol d’oiseaux sur la table des herbes, un grand pichet de fleurs, une assiette d’eau pale. C’est la faute au printemps si les lilas fleurissent. C’est la faute au soleil, à la pluie, à la vie. Ils font monter la sève dans les pommiers têtus, de l’encre dans les mots. C’est la faute à Gudule, aux gugusses, aux gougounes. Je fais semblant de rire pour cacher la misère avec ses trous de bombes au fond de la poitrine, ses cratères d’eau sale, ses enfants morts de faim. Je n’ai plus que ma peau entre le monde et moi, un peu de sang sur les mains, un brin de paille dans les dents, les deux yeux en trous de suce pour téter l’infini, une rature noire sur l’image des mers, des larmes de lucioles sur la joue de la nuit. J’ai des hauts. J’ai des bas qui ne sont pas de laine. Je cherche le niveau et le marteau qui manque. L’eau rêve de soleil dans un grand lit de pierre. Qu’importe le chagrin. Il y a plus d’étoiles que de larmes à nos yeux, plus d’infini que d’heures au creux d’une seconde.

         J’ai renversé la lampe sans brûler le papier. J’ai mis le deuil en deuil entre les doigts de la mort. J’ai traversé les cendres. J’ai troqué le bitume pour un grelot d’oiseaux. J’ai croqué dans la pomme avant qu’elle soit mûre. Un petit vent du nord défroisse la lumière. Les nuages faseillent comme un lait renversé. L’étoffe heureuse des jours pendouille entre les arbres, délavée par la pluie et les larmes de givre. J’ai le cœur comme une goutte d’eau brûlante au bec d’une bouilloire, l’âme en épi de blé d’Inde, la cervelle en compote. Il faut bien sourire quand les fantômes tirent la langue, répondre aux morts qui nous appellent. Je salue le silence avant le premier mot, la couleur du ciel éparpillée dans le sang, la rose dans les ruines, le blé avant le pain, l’étoile avant la pierre, le cœur avant la tête, la terre avant la fleur. Un peu de rêve suffit pour ouvrir les poings. L’enfant détruit d’un pas le château de sable du réel. Le verbe traîne avec les loups, les anges, les mésanges. Je le conjugue dans les replis du sang.

         Il n’est pas sûr que la mort résolve quelque chose. Il faut vivre d’abord. Ma vie est sur la page blanche où j’écris sans savoir, un peu comme le vent sur le ventre d’un moineau. Je suis assis sur un banc, loin, très loin, plus haut que les nuages. Une phrase me port de l’enfance à l’amour. J’écoute respirer les étoiles. J’entends le souffle des comètes rejoignant les racines, l’eau de pluie qui s’échine à caresser le roc. Une maison s’érige avec nos propres gestes. Il suffit de si peu pour entrer ou sortir, une encre au bois dormant que réveillent les mots, un petit brin de lumière dans le plumage d’un corbeau. Je ne veux plus des hommes suffoquant sous leur poids, du mensonge des chiffres, des raisons, des justifications, de la gloriole des noms propres salissant l’eau du cœur, des creux de l’histoire où ne pousse plus rien, du bal des egos sur le plancher des banques. Je bivouaque au bord de l’écriture parmi le chant des langues. Je ne demande rien si ce n’est l’infini, l’amour traçant la voie, la chair d’un poème sur les os du silence.


Publié dans Prose

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