Printemps

Publié le par la freniere

L’été revient. La terre sent la sève. Les routes sentent bon. Les vergers chantent la pomme. Les arbres sont aux oiseaux. Les verges d’or s’éveillent. Tout l’azur étincelle sur la cornée de l’air. Sur la mare d’eau noire, le soleil s’ébroue comme un colvert inquiet. Le monde se fait plus rond, la saveur plus douce, l’amande moins amère. La rosée vient signer les brouillons du jardin.

Les feuilles ne craignent pas la chute. Elles connaissent déjà l’amitié de la terre. Elles nourrissent les graines en cueillant le soleil. Un arbre ne craint pas la pluie. Son écorce protège la saveur de la sève. Un os ne craint pas le chien. Il offre sa douleur à ses crocs affamés. La fleur ne craint pas la nuit. Elle offre son parfum aux aveugles qui passent. Les battants du jour se soulèvent dans l’aube fine et l’aubépine.

La vieille table en bois s’éveille en craquant. Des miettes de bonheur font briller sa patine. La moindre graminée est complice du vent. Le sang court dans nos veines comme la sève dans l’aubier. Un univers entier s’éveille sous la pierre. La menthe chante pour répondre aux oiseaux. Le vent ramasse les odeurs et me laisse les mots. Une mappemonde verte émerge des bourgeons.

Avide de poissons, le héron bleu a vidé tout l’étang. Ma fille ne verra plus briller l’or rouge des poissons. Je préfère le hérisson. Petite pelote de peur, il m’offre ses épingles quand je ravaude l’espérance avec le fil du temps. Le bec du vent picore dans la nuit un ver de soleil. Un cheval de brume laboure les grands champs de la pluie. Le vieil érable à sucre refuse qu’on l’entaille. Il bougonne et fait craquer ses doigts. Les oiseaux le délaissent. Les gnomes le fuient et ses samares sont des larmes. Il reste seul dans son coin. Il a vu tous les hommes entailler son espoir mourir peu à peu et les os des enfants dont il griffait les jambes lui mordent les racines.

Sous l’archet du vent, les herbes parlent comme elles dansent. Les insectes en profitent pour apprendre à chanter. Lorsque j’écris dehors, assis sur la galerie, un écureuil cligne des yeux au bout de chaque phrase. La forêt est une salle de classe. Chaque arbre est un cahier où le soleil tourne les pages. Chaque oiseau est une phrase sur la paille d’un nid. J’écoute la terre qui tourne au ralenti. Fermant les yeux, je dessine peu à peu les images qui manquent. Pèlerin du silence, voyageur immobile, l’encre noire des lignes est le bâton où je m’appuie.

Mon regard n’est plus qu’une immense rétine qui absorbe le monde. J’apprends à lire chaque sillon, chaque ride sur l’eau, chaque nervure des feuilles, chaque pas sur le sol. Le vent ne sait pas ce qu’il dit à l’oreille des arbres. Les feuilles le traduisent. Sous le chapeau du ciel, toutes les têtes communiquent. Tous les rêves communient à l’hostie du soleil. Le vent s’accroche dans les griffes des champs. Je recommence à lire l’écriture du printemps. Les lettres orphelines retrouvent leur famille. Une musaraigne me fait signe par le trou d’un vieux tronc. Un arbre mort n’est jamais tout à fait mort. On ne meurt pas vraiment. On change de route.

J’écoute bouger les feuilles, les fleurs qui sourient, les roses, les moroses. Je flatte les montagnes, ces grands molosses du temps. Je traverse le lac avec des souliers d’eau. Je mets la table pour le pain. Il y a des chaises pour s’asseoir, des parenthèses, des virgules tressées avec de l’encre. Il suffit du bzzz d’une abeille pour continuer d’écrire. J’essaie d’expliquer aux arbres que je suis leur ami. Ils demeurent méfiants. Je voudrais dire à chaque feuille, à chaque bourgeon, à chaque fleur, je t’aime. J’ai couru longtemps après moi-même. Je m’attends maintenant, assis sur le bord de la route. J’essaie d’aimer comme le cœur des arbres quand ils portent un oiseau.

Publié dans Prose

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Commenter cet article
J
Salut Colette et merci. Tu peux fort bien récidiver.
C
Désolée Jean-Marc, cette fois-là j'ai omis de te demander l'autorisation de mettre en ligne un 2ème extrait de toi (le 27 Avril)<br /> Promis, je ne récidiverai pas<br />